Mon histoire commence comme toutes les belles histoires.
Il était une fois… une petite fille de sept ans à qui on demandait : “Que veux-tu faire quand tu seras grande?
Ma réponse était toujours: ” Je veux être hôtesse de l’air!”
Pas chez Air France, BOAC ou Qantas qui passaient au-dessus de ma tête mais chez Air Mauritius…
Cet avion rouge et blanc avec son logo du Paille en Queue me faisait déjà rêver…
Quinze ans plus tard, je suis à ma troisième tentative. Les deux précédentes fois sont restées lettres mortes. La compétition est énorme: trois mille postulants pour une vingtaine de places. Tant pis, j’essaie encore une fois. Cette fois j’ai une troisième langue comme atout.
Arrivent les entrevues, le Check up médical et le test de natation à Flic en Flac.
Et puis Bingo! Je reçois ma lettre d’embauche chez MK! Le rêve, mon rêve est devenu réalité! J’étais non seulement excitée par cette nouvelle vie qui s’offrait à moi mais aussi curieuse de découvrir le monde de l’aviation et le Monde lui même!
Coïncidence ou pas, ce même jour, le divorce entre mes parents est prononcé. Ma mère ne travaille pas, mon frère est encore au collège et ma sœur est en primaire. Tant pis, je me retrouve à la tête de ma petite famille avec un salaire de base de Rs2 500.
L’apprentissage du métier d’hôtesse de l’air commence par des cours commerciaux à Plaisance et à Johannesbourg. Et pour obtenir la licence de ‘Cabin Crew’ il faut réussir à tous les examens.
Puis il y a eu le grand jour, le premier vol en tant que ‘Trainee’: un aller retour Maurice-Durban-Johannesbourg-Maurice. Réveil à quatre heures du matin et un retour à minuit à la maison. Un jour de repos suivi d’un vol sur Bombay avec un minimum d’heures de repos à l’hôtel avant d’opérer le vol retour.
Les vols sont toujours complets. La clientèle est exigeante et difficile. L’équipe change pour chaque vol. Il faut s’adapter aux chefs de cabine et aux collègues. Pas grave, je suis là pour apprendre. Je m’accroche. Je tiens à mon boulot. D’autres sont gentils, vous épaulent et vous montre les astuces pour être plus performant.
Certaines rotations sont longues. Il n’y a pas encore de téléphone mobile avec wifi. Je laisse ma famille derrière et je m’en vais travailler… Je prends de leur nouvelle en allant dans un cybercafé au moins une fois pendant une longue rotation. Entre des ‘Allo!’, ´Ça va?’, mes sous glissent dans le combiné du téléphone comme un éclair.
Je me marie, nous avons une merveilleuse petite fille et puis malheureusement nous divorçons… Ma fille n’a que trois ans. Ma mère et ma sœur l’élèvent quand je ne suis pas là.
Aujourd’hui j’ai fêté mes cinquante-cinq ans. Oui, je les ai fêté en confinement car je suis chanceuse d’y être arrivée. Quand je regarde en arrière, je vois trente-trois ans d’une vie riche et remplie.
J’ai rencontré le temps d’un vol, des personnes dont c’était la première fois en avion, (peurs et pleurs garantis), de grandes personnalités, des businessmen, des étrangers qui m’ont raconté leur vie, leurs soucis, leurs espoirs. Avec mon équipe, nous nous sommes occupés d’une vieille dame qui a fait un malaise deux heures avant l’atterrissage à Londres. Je lui ai tenu la main aussi longtemps que j’ai pu alors qu’un médecin à bord lui prodiguait des soins. Elle voyageait pour la première fois et allait revoir sa fille à Londres après des années. Au retour, trois jours plus tard, le représentant nous informe que la dame n’a pas survécu et rentre à Maurice avec nous mais… dans la soute.
J’ai amené des malades en Inde de tout âges ou bien des bébés de quelques semaines, des blessés ou des malades sur la civière installée sur l’avion. Nous avons fait de notre mieux pour leur donner un vol aussi agréable que possible. Des mots échangés pour les écouter et les soutenir, de l’empathie, de la compassion, un sourire aux parents ou accompagnateurs et dans le Galley, mes collègues et moi avons essuyé des larmes plus d’une fois car il y a eu des cas que nous savions qui ne s’en sortiraient pas…
Comme mes collègues je me suis fait insulter car l’avion est tombé en panne sur le tarmac. Je ne vous dis pas les ‘Ouhhh!’ et les ´Ahhhh!’ dans la cabine pendant des turbulences incroyables! Et souvent c’est au moment où nous, équipage, nous sommes en plein service. Nous avons dévié sur La Réunion, Nairobi ou Tana à cause de vents cycloniques sur Maurice. Nous avons aussi décollé ou atterri dans des cyclones.
J’ai aussi été témoin de l’arrogance, des complexes de supériorité de certains clients. Air Mauritius est à eux et donc se soûler et descendre à quatre pattes est leur droit. Ne pas avoir un choix de repas est sujet à de grosses colères. Injures et maltraitance de l’équipage est semble-t-il le monopole de certains et tant pis pour nous, employés qui avons besoin de travailler pour vivre et faire vivre notre famille. Il ne faut rien prendre à cœur.Ça fait partie du métier… Avec des excuses et des solutions qui ne plaisent toujours pas aux clients les plus difficiles, nous rentrons chez nous crever et démoraliser. Nous faisons de notre mieux avec les possibilités et les équipements que la compagnie nous donne. A 37, 000 pieds, il n’y a pas beaucoup d’alternatives à offrir.
Nous comparer à Emirates n’en vaut pas la peine: Ils ont des moyens et des prestations de services que nous n’avons pas. Donc vous laisser le client se défouler sur vous et vous vous excusez. Ça fait aussi partie du métier.
Je suis promue Flight Purser à ma troisième tentative. C’est une étape importante dans ma carrière. Plus de responsabilités, la possibilité de montrer de quoi je suis capable en tant que Team Leader. Je forme des nouveaux éléments à bord en les encadrant afin de leur transmettre ma passion. J’aime ce nouveau défi! Je continue à exercer mon métier avec fierté, professionnalisme et je me donne à fond!
Oui, j’ai donné trente-trois ans de ma vie sans jamais broncher, sans me plaindre, en trouvant toujours du plaisir à faire ce que je sais faire le mieux: être un Cabin Crew!
Le premier Noël de ma fille, je suis bloquée à Perth avec un avion en panne… Sa première dent est déjà percée quand je rentre de Paris… Ses premiers mots sont pour ma maman…Elle fait déjà ses premiers pas quand je rentre de Francfort. Elle ne me reconnais pas quand je rentre après huit jours d’absence et se réfugie dans la jupe de ma maman, se demandant sûrement qui est cette dame dont je reconnais la voix mais dont je ne me souviens pas qui c’est?
Je ne suis là que pour un ou deux jours avant de repartir. Elle s’accroche à moi comme si elle savait que je repartirai bientôt. Dès que j’enfile mon uniforme, elle se réfugie dans les bras de ma sœur. Elle sait déjà que Maman va repartir. Je lui dit: ‘Maman revient vite! Maman va acheter du pain pour nous!’
Son premier jour au primaire, ma fille rentre de l’école et m’offre le pain qu’elle a reçu et me dit: ‘Voilà Maman, j’ai ramené du pain pour nous, tu n’as plus à aller travailler!’
Mes jours ‘off’ je les passe avec elle et tant pis pour les tâches ménagères! Elle est ma priorité! Je m’occupe de ma fille moi-même dès que je rentre de mon boulot. Je lui montre les valeurs humaines, l’importance de bien étudier à l’école afin qu’elle trouve un boulot qui lui plaît. Car faire un métier qu’on aime pas est pour moi la pire des choses!
Elle fréquente un collège d’état et j’ai pris une assurance éducation pour elle. Je peux compter sur les doigts combien de Noël j’ai passé avec elle… Les anniversaires et les décès de mes proches aussi….
J’ai un emprunt sur la maison. Pour préparer ma retraite, j’ai pris une assurance pension il y a quelques années. Je paie mes dettes et la taxe comme toute citoyenne et nous vivons bien.
Mars 2020, le Covid nous frappe en plein visage! J’opère des vols de rapatriement. Il faut tout prévoir car nous sommes en confinement. Je suis la seule qui peut sortir faire du shopping.
Nous sommes le 22 avril 2020, MK entre en Administration Volontaire.
Et là, tout s’effondre!
En Août 2020, les Seniors sont remerciés! C’est la consternation! Nos mentors, nos modèles de chefs à bord, mes collègues qui sont aussi mes ami/es sont congédiés d’une façon tellement brutale!
De nouveaux contrats de travail sont imposés à la moitié de l’équipage alors que l’autre moitié dont je fais partie est mise de côté. Les Flight Pursers (comme moi) sont enlevés du roster sans aucune raison. Aucune explication des Administrateurs n’est donnée. On nous remet sur les vols un mois après toujours sans explication.
En Octobre c’est le clou qu’on nous enterre: moitié salaires ou congés sans soldes pour çeux qui ont signé le nouveau contrat! On déduit le même montant des emprunts et des assurances! Les salaires sont à pleurer! Comment faire pour vivre décemment???
Les administrateurs clament qu’il faut que les employés se serrent la ceinture. Il y a mal-gérance et nous sommes dans le rouge. Les rumeurs les plus folles circulent. La compagnie va fermer…
Entre désarroi et stupeur, il faut courir chez l’emprunteur, avec preuves à l’appui afin d’obtenir un moratoire. Il faut se mettre à nu et plaider son cas. Il est compréhensif, plus humain que les Administrateurs!
Çeux là ont la loi dans leurs mains: ils font la pluie et le beau temps avec toute l’arrogance qu’ils peuvent se permettre. Ils trouvent que nos salaires et nos allocations sont exorbitants! Laissez moi vous dire, Messieurs les Administrateurs, que chaque sous que nous avons touché, nous le méritions! Nous avons tout fait pour élever le niveau de MK pour l’amener à 4 étoiles chez Skytrax en Juin 2019. Nos salaires et nos allocations sont légitimes! Élue ‘Indian Ocean’s Leading Airline’, Air Mauritius rafle ce prix 14 fois en 17 ans. A qui revient ce mérite? Ce mérite revient aux employés, à ceux qui se sont sacrifiés. Ceux qui ont amené leur contribution, leur sueur aux prix de sacrifices! Pas à ceux qui s’en sont mis plein les poches et qui n’ont eu comme priorité que leurs propres intérêts ou qui sont partis avec des ‘golden handshakes!’
En 33 ans de carrière , j’en ai vu défilé des CEOs! Les plus compétents étant remerciés à chaque nouvelle élection au gouvernement! Comment gérer une compagnie dans de telles conditions? Les petits actionnaires et les employés demandent une enquête approfondie: où est passé l’argent? Que les responsables qui ont dilapidé la compagnie répondent de leur acte! Les administrateurs répondent que ce n’est pas leur boulot! Ils sont là que pour ‘tailler-raser’.
Les administrateurs changent de langage dans leur dernier courrier. Ils prétendent comprendre ce que vivent nos familles. Ce ne sont que des mots pour se donner bonne conscience. Dans la réalité, il y a la menace d’être envoyé au Redundancy Board! On nous impose le travail à temps partiel et la permission de faire un autre boulot. Qui va m’employer à 55 ans? Comment m’engager ailleurs alors que après un vol, je dois faire une isolation de sept jours chez moi pour protéger ma famille et la population.
Le gouvernement nous lâche… Aucune aide financière à ceux qu’on impose les congés sans soldes! C’est un drame humain auquel personne ne veut voir! Le gouvernement joue à l’autruche! Il est actionnaire majoritaire quand nous faisons des profits mais se lave les mains quand le Paille en Queue s’écrase! Merci pour votre soutient! Vous resterez à jamais dans nos mémoires!
Je revois nos dépenses mensuelles! Je jongle avec les sous! J’arrête la contribution au plan d’éducation de ma fille et à mon plan de pension. Impossible à continuer à cotiser dans de telles circonstances! Le coût de la vie monte en flèche! Nous ne vivions pas au dessus de nos moyens! Mais il faut tout revoir… Impossible de se défaire de l’Internet, je dois rester en contact avec le travail et ma fille en a besoin pour ses études.
Aujourd’hui je vis au jour le jour… Je dois parer aux dépenses les plus urgentes et imprévues : un tuyau cassé, la bonbonne de gaz qui finit et les leçons à payer!
Les membres de la famille m’aident et me soutiennent du mieux qu’ils peuvent. C’est un soulagement quand ils vous apportent un sac de congélation ou des vivres! Je suis touchée par leur geste… Ils prient pour moi. Comment cacher à ma vieille maman ce qui m’arrive? Elle lit les journaux et s’inquiète pour moi! Entre collègues et amis nous nous soutenons les uns les autres.
Les insomnies sont fréquentes: je réfléchis beaucoup. Je lis aussi beaucoup: c’est quoi le Covid Bill, c’est quoi une administration volontaire, c’est quoi la Workers Right Act?
Je me réveille un matin et j’ai un caillot de sang à l’œil! Diagnostic: c’est dû au stress. Des douleurs au cou ou des maux de tête sont fréquents. Les nuits sont longues…
Je ne demande pas de la pitié ou l’aumône! Je ne demande que la justice!
Rendez moi ma dignité de femme et de maman! Laissez moi grandir ma fille! Ne brisez pas ses rêves!
Je regarde l’avenir: il est rempli d’incertitudes, d’angoisses et s’annonce encore plus sombre!
Bienvenue dans mon monde: le cauchemar éveillé est là depuis un an!