NOUBANISME

L’île Maurice veut être reconnue comme un havre paradisiaque, multiculturel avec ses ethnies vivant en parfaite harmonie. Mais loin de cette image de carte postale, se cache une lave ethnocentriste bouillonnante qui se glisse dans toutes les brèches possibles, attendant patiemment la prochaine éruption. A tel point que si Frantz Fanon était des nôtres, il aurait titré son livre ‘République Névrosée’ et Jean-Paul Sartre aurait certainement, dans sa préface, écrit : « On est foutu ».

Une attention particulière sur les propos de Pravind Jugnauth et ses acolytes lors de certaines sorties publiques, nous permettent de dissiper tout doute possible sur leur rôle de pyromane-pompier.  Ils persistent à exploiter la peur pour diviser la population. Si les discours incendiaires des élus au pouvoir provoquent l’indignation d’une grande partie de la population, pour ne dire la majorité, il nous incombe à tous de comprendre sur quoi repose cette stratégie qui fait mouche depuis plus de 55 ans. Pourquoi n’arrivons nous pas à comprendre que, la diversité est une richesse et non  une menace ?

Bizarrement, ce sont les calamités naturelles qui déclenchent un sentiment sporadique de fraternité humaine. Un sentiment qui se dissipe en temps normal, quand la population désigne, tel un regroupement de tribus, comme dirigeant suprême,  le chef le plus en vue de l’ethnie majoritaire. Des réflexes ethno-communautaristes que le regretté Dev Virahsawmy avait jadis qualifié de « Noubanisme ».

L’inculture

Un indicateur indéniable des réflexes ethno-communautaristes des Mauriciens, c’est son comportement par rapport aux évènements, notamment des conflits ou drames humains ayant lieu dans diverses parties du monde. Le constat est que la population se reconnaît d’abord sur la base de l’identité communautaire et ethnique.

A titre d’exemple, l’ensemble des Mauriciens se dit solidaire des peuples opprimés, mais, aussi étrange que cela puisse paraisse, ceux qui soutiennent la cause palestinienne ne font généralement pas partie de ceux qui dénoncent les génocides, fussent-ils au Sri Lanka, au Rwanda, au Timor oriental ou encore le Yemen. Tout comme ceux qui scandent ‘Je suis Charlie’ mais s’abstiennent de réagir face aux autres drames se déroulant dans le monde.

Mais cet état de chose résulte aussi d’une inculture profondément ancrée. Ce qui fait que le repli identitaire est une névrose introduite et maintenue par la méconnaissance, souvent de la culture générale ou par la perversion des enseignements de diverses religions. Revenons à l’exemple de la Palestine : bon nombre de Mauriciens ignorent l’histoire de ce conflit et en ont fait une affaire confessionnelle. Comme nous l’explique Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine auprès de l’Union européenne à Bruxelles, « le conflit n’est pas entre juifs et musulmans. C’est un conflit entre une force d’occupation et un peuple sous occupation ».

D’ailleurs, nos élus qui s’empressent pour amadouer, par pur clientélisme politique, les musulmans lors des célébrations religieuses, ignorent le fait qu’un des premiers combattant de la cause palestinienne était George Habache, un chrétien orthodoxe qui avait fondé le Front populaire de libération de la Palestine. Quant à ces concitoyens qui soutiennent Israël,  ignorent certainement que le Hamas est une création de  l’état Hébreu et que les plus humiliantes des persécutions subis par les juifs sont aux mains des chrétiens du Moyen Âge.

Transmission idéologique

Au sein de la société mauricienne, la famille continue de jouer un rôle déterminant dans la transmission des orientations idéologiques. Comme leurs aînés, les jeunes choisissent souvent les mêmes croyances, les mêmes idéologies et le même bord politique que leurs parents. Évidemment, il y a une certaine rupture qui prend le pas et la jeune génération se départit un peu plus chaque jour de cette succession. Mais, il suffit d’un concours de circonstances, ou d’évènements affectant ces individus pour restituer l’ancrage généalogique. Comme dans les cas de conversion ou de reconversion, les jeunes montrent les dispositions les plus extrêmes.

L’impact économique

Dans son livre ‘Les Rochers de Poudre d’Or’, Nathacha Appanah nous décrit la ghettoïsation des pouvoirs à l’île Maurice. La romancière mauricienne raconte que « les hindous détiennent aujourd’hui le pouvoir politique et culturel. Les ‘blancs’, qui sont appelés ‘franco-mauriciens’ et ne représentent que 2 ou 3 % de la population, détiennent une grande part du pouvoir économique grâce aux terres et aux fortunes héritées de leurs ancêtres. En revanche, ils sont quasiment absents de la scène politique à proprement parler même si leur puissance économique leur laisse beaucoup d’outils de pression ».

On sous-estime trop souvent, le rapport entre l’ethno-communautarisme et l’économie dans notre pays. Dans un contexte socio-économique totalement déstructuré, on est aveuglé par les fausses images à l’allure d’un village Potemkine. Les structures de notre économie ‘moderne’ réduisent la vie à une simple fonction ; celle de la recherche d’accumulation illimitée de l’argent, tout en prenant les moyens pour fin. Comme le définit le théoricien allemand Max Weber, ce système fonctionne à l’exclusion, favorise l’ethnocide et détruit tout ce qui lui résiste. Loin du mythe de la main invisible cher aux économistes, ce système donne lieu à une désocialisation concrète et provoque des revendications identitaires. Souvent instrumentalisées par nos politiciens, ces aspirations identitaires se retrouvent dans des projets sociaux et économiques qui frôlent le néofascisme. L’intolérance et l’enfermement, le repli identitaire sont autant de symptômes typiques bien présents chez nous. Cet instinct grégaire grandissant assure un comportement unique chez nous. En effet, nous demeurons l’un des rares pays au monde où l’achat d’une boisson gazeuse ou d’une voiture est dicté par des considérations communautaristes.

Les réflexes ethniques et communautaristes sont bien ancrés, au point d’impacter sur la vie des citoyens. Une jeune femme de confession musulmane se voit refuser un emploi parce qu’elle porte le voile. Une mère de famille se fait renvoyer par son employeur pour avoir refusé d’enlever son sindoor. Un jeune homme se fait humilier par un diplomate pervers,  à cause de ses dreadlocks.  La liste est longue et loin d’être terminée.

Si les entreprises autrefois accusées de pratiquer le ciblage ethnique, ont compris que la seule couleur qui compte est celle de l’argent, nos gouvernants politiques sont eux plus que jamais convaincus que leur salut repose sur l’instrumentalisation de nos différences ainsi que la prolifération de la haine. Comme quoi, ils ignorent  sans doute que Rome était une république avant de sombrer dans le barbarisme tribal.

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