Privatisation : tempête annoncée

La campagne terminée, nous serons en face des réalités très douloureuses. Avec les nuages à l’horizon de notre économie et le manque de clairvoyance de l’ensemble de la classe politique, nous nous verrons confrontés à des sans précédent : effets combinés de la mauvaise gestion des institutions publiques, la pression de la dette et le poids de la surenchère électorale. Avec les principaux partis politiques coincés entre leur dépendance du secteur privé qui réclame les dividendes pour générosité quinquennale, la seule potion magique qui restera – La Privatisation

 

Depuis notre ‘indépendance’, les régimes successifs se sont appuyés sur le besoin d’ajustement structurel pour permettre la relance de l’économie. Cette politique, sortie tout droit des institutions de Bretton Woods, se caractérise par une forte incitation au désengagement de l’Etat du secteur économique, et, partant, à la privatisation des entreprises publiques. Il est de plus en plus diffi-cile de tenir face au matraquage de certains économistes et autres décideurs politiques adeptes des diktats du FMI, qui réclament sans cesse la privatisation de nos biens publics. La grande majorité de ces technocrates est issue de familles jadis pauvres qui ont « investi » dans l’éducation de leurs enfants afin que ces derniers puissent accéder à la mobilité sociale. Leur discours prend volontiers des formes altruistes et politiquement correctes mais, leur éducation se résume à la seule notion du profit. Certes, ce pays est redevable envers ses entrepreneurs, qui ont su y investir en vue de prospérer.

Cependant, il serait fallacieux d’ignorer la contribution du secteur public qui a enrichi ce pays d’un encadrement administratif. Alors que Maurice est l’un des rares en Afrique qui soient dépourvus de ressources naturelles, on oublie trop souvent que la richesse du secteur privé est étroitement liée aux activités publiques et que les manquements énumérés dans le secteur public se retrouvent aussi dans des entreprises du privé. Vu d’un autre angle, on constate même que, grâce à leur débrouillardise et leurs initiatives, ce sont les pauvres de ce pays qui sont, en réalité, les vrais artisans de la richesse. Comme l’explique Paul Krugman, le fait que les économistes n’aient pas prédit la crise démontre qu’ils souffrent de myopie. D’ailleurs, leur argument, c’est que le rôle de l’Etat se limite à la politique et non à la gestion ; sauf qu’à chaque débâcle financière, ce sont les mêmes qui clament que les contribuables doivent se serrer la ceinture pour maintenir les niveaux de profit.

Moins on comprend, plus on applaudit

Dans un pays où on favorise le traitement des symptômes au lieu des maladies, le peuple se désengage graduellement, laissant le champ libre aux idéologues cautionnés par certains médias convertis en entreprises de bourrage de crâne. Crédule, le peuple se laisse facilement éblouir par des mots dont la complexité inspire confiance. Ainsi cet expert qui disait que « pour relancer l’entreprise, il faut une mise à niveau avec une intégration verticale et un repositionnement de la marque accompagné d’une optimisation des ressources ». Les employés ne comprenant pas qu’ils allaient être virés, applaudissaient l’expert qu’ils prenaient pour un sauveur. Heureusement, que ces experts ont choisi l’économie au lieu de la médecine. Sinon on vous aurait amputer du pied au lieu de simplement enlever l’épine qui fait mal à l’orteil. Des deux côtés de l’hémicycle, on reconnaît à mots couverts que la privatisation de MT était la pire des bêtises qu’un Etat responsable ait pu faire. Loin de retenir la leçon, on veut cette fois privatiser les autres biens de l’Etat. Alors, tant qu’on y est, pourquoi ne pas privatiser le parlement ?

Il faut bien comprendre les nuances entre le gouvernement et l’Etat. Maîtriser la notion de l’Etat est chose indispensable à la compréhension de son rôle et évite surtout les amalgames très souvent partisans. Les entreprises publiques appartiennent à l’Etat qui lui-même doit son patrimoine aux richesses créées par les citoyens. En ouvrant le capital de ces entreprises aux investisseurs privés, on ne fait que facturer les générations futures pour ce qui a déjà été payé par les générations passées. Quand on invoque des impasses financières pour justifier la privatisation, c’est comme ces ménages endettés qui bradent les précieux bijoux de famille. Privatiser ces entreprises publiques c’est vendre le pays. C’est une action antipatriotique et inhumaine qui signifie qu’un jour, nous ne pourrons plus nous abreuver, s’éclairer deviendra un luxe, s’éduquer dépendra de notre patrimoine financier et se soigner sera réservé aux nantis. Sans oublier évidemment que ces privatisations, sous toutes ses formes possibles, engendrent des licenciements et la précarité. Est-ce cela qu’on souhaite léguer aux générations futures ? Est-ce cela la notion de durabilité ?

 

Services de santé publique : privatiser par l’assurance

Au lieu de s’assurer que les services de santé demeurent un droit du citoyen, tout est mis en œuvre pour développer le marché de la santé. Avec la privatisation de la Santé publique, le monopole traditionnellement attaché au statut des services publics est sérieusement mis à mal. Le mouvement de privatisation a désormais très largement outrepassé les frontières du secteur public pour atteindre le cœur même de l’intervention de l’Etat.

Guider les moutons

De plus en plus, on nous dirige vers des cliniques privées pour des examens de résonance magnétique, alors que le service public dispose d’appareils identiques qui, bizarrement, demeurent en panne des années durant. De quoi renforcer l’argumentaire d’un service public peu efficace. Mais, la source de l’inefficacité de notre système de santé se trouve ailleurs, loin des hôpitaux. Car, elle est, avant toute chose, politique. Partant du recrutement du personnel qui pue le clientélisme partisan, l’ingérence des politiques dans les affaires courantes, l’approvisionnement des médicaments, l’intérêt privé de certains élus, tout est politisé.

Assurer la profitabilité des sociétés d’assurance

Aujourd’hui, une infime minorité de la population possède une couverture d’assurance santé privée. Parmi elle, on retrouve aussi des salariés couverts par des contrats collectifs ou individuels offerts par leurs entreprises. Par contre la grande majorité, notamment les chômeurs, les employés précaires, les retraités, les veuves, orphelins ainsi que les autres démunis ne peuvent se fier qu’aux soins de santé publique. Certains issus des professions libérales doivent recourir à des contrats individuels, dont les primes sont souvent indexées sur l’âge des adhérents. Un projet d’assurance-maladie obligatoire limitera certainement l’accès aux soins et peut s’avérer dangereux pour un pays qui compte son capital humain comme unique ressource. Rien de plus ridicule comme argument, quand on évoque la performance et l’efficacité du privé. Surtout quand ce n’est un secret pour personne que le personnel soignant du privé est la même qui officie dans le public !

 

Le diktat du marché financier

On n’évoquera jamais avec assez de force cette collusion que partagent le FMI et la Banque Mondiale avec les forces politiques néo-libérales qui continuent encore aujourd’hui de vanter les mérites des privatisations. Ils font pression sur les gouvernements pour imposer ce modèle. Les pays comme le nôtre subissent leur influence car ils échangent des aides contre des réformes impliquant ces privatisations. Le mode opératoire est resté inchangé depuis des décennies : en s’appuyant sur un lobbying actif, nous jurant que ce n’est pas le cas, ils invoquent le besoin d’un partenariat stratégique, au nom d’une certaine « efficacité ».

 

L’accès à l’eau : droit fondamental bafoué !

La gestion de la distribution d’eau, considérée comme l’Or Blanc, est actuellement un sujet important dans les coulisses du pouvoir. En effet, la privatisation de la Central Water Authority (CWA) est plus que jamais d’actualité. Dans un pays où on reconnaît l’existence de centaines de poches de pauvreté, et où des milliers de citoyens sont encore dépourvus d’accès à l’eau potable, peut-on éthiquement accepter que l’eau serve à enrichir les actionnaires de quelques grands groupes étrangers ?

 

Production énergétique : la poule aux œufs d’or

La privatisation a avant tout pris un caractère politique, qui consiste à promouvoir une économie de marché. Bien qu’on se réfère l’efficacité économique, comme argument principal, la privatisation, telle que préconisée par les adeptes du libéralisme, touche aussi des sociétés performantes. À l’instar de Mauritius Telecom ou encore la CEB, compagnie nationale de production et de distribution de l’électricité.

Dans son livre ‘Private Island: Why Britain Now Belongs to Someone Else’ publié en janvier 2014, l’écrivain britannique James Meek explique que contrairement à ce que préconisait Margaret Thatcher lors de la présentation de son bilan devant le Parlement britannique le jour de sa démission en 1990, la privatisation a retiré son pouvoir au peuple. James Meek cite comme exemple où la privatisation de l’électricité n’a pas réussi à faire baisser les prix. Il cite : « Les chiffres les plus récents suggèrent que les tarifs britanniques se situent en général dans la moyenne européenne – plus élevés que les tarifs français et inférieurs aux tarifs allemands. Elle a aussi été un échec du point de vue de l’industrie et du management britanniques. Il n’est pas de meilleure illustration de l’ampleur de la sottise et de la trahison des politiciens des deux grands partis que le simple constat que l’ancien système électrique britannique, fiable quoique géré de manière peu efficiente, a été détruit au lieu d’être réformé, pour n’être remplacé en dernière instance que par un nouvel avatar du système précédent, mais contrôlé par des firmes étrangères ».

Le dossier de l’énergie ou de l’électricité en particulier, intéresse vivement le leader du MMM Paul Bérenger. D’ailleurs c’est le sujet autour duquel, il a posé le plus de questions au parlement durant les dix dernières années. Des points communs qu’il partage avec son fervent disciple, Ivan Collendavelloo. Leur opposition au projet CT power était loin d’être alignée sur les arguments des mouvements écologiques. Evidemment, quand on a couché au moulin, c’est dur de résister au sucre. Les amendements pour convertir le CEB en régulateur, laissant le soin de production et de distribution aux oligarques sucriers sont quasiment prêts. Toute ouverture de ce secteur devra prendre en considération le poids des bailleurs de fonds qui certainement vont vouloir inviter les multinationales étrangères de ce secteur, sous prétexte de la compétitivité et de la transparence.

Dans les deux cas, l’Etat perdra le contrôle, même si certains ministres viendront à la télévision nationale pour dire qu’ils sont plus futés que ceux des autres gouvernements dans le monde. L’ambition de l’Etat de progressivement migrer vers des sources d’énergies propres, ne se concrétisera pas. Du fait que la motivation du secteur privé reste le profit et que les opérateurs sont loin de partager les mêmes idéologies progressistes. Toutefois, le CEB compte un nombre élevé de syndicalisation, qui sont pour la plupart partisans des méthodes radicales et cette joute s’annonce d’ores et déjà, électrique.

 

Privatisation de Mauritius Telecom (MT) : un crime contre le pays

En novembre 2000, le gouvernement MSM-MMM tout juste arrivé au pouvoir, cède 40% de sa plus prestigieuse société à France Télécom. Si les Rs 7 milliards sont vite englouties dans les dépenses publiques, les séquelles de ce partenariat durent toujours, depuis déjà 19 ans.

Nous sommes en 2000 à quelques mois des législatives, entouré de ses ministres et ses colla-borateurs, au Clarisse House, Navin Ramgoolam se voit contraint de trancher entre les pro privatisation, et ceux contre. Le lobbying intense des Sarat Lallah et Vasant Bunwaree depuis 1996, butait sur la farouche résistance de certains proches collaborateurs de Navin Ramgoolam, notamment Milan Meetarbhan. En s’appuyant sur les arguments du CEO d’alors Megh Pillay, Navin Ramgoolam allait renoncer à trouver un accord à la veille des législatives. Surtout que plusieurs aspects de ce partenariat laissaient entrevoir des menaces par rapport à la souveraineté et à l’intérêt de l’Etat.

Arrivé au pouvoir, Paul Bérenger allait réussir un de ses fameux ‘Mari Deals’. À souligner la farouche opposition de Sir Anerood Jugnauth (SAJ) qui considérait MT comme le joyau de la République, le patrimoine national. Ce dernier devait toutefois courber devant les rapports de forces favorables à son allié, le MMM. Si le souci de Paul Bérenger était de renflouer les caisses de l’Etat, d’autres options étaient envisageables, telles que l’achat des actions par le Fonds national de Pension, mais des raisons géopolitiques furent secrètement évoquées dans les coulisses du pouvoir pour expliquer la voie choisie.

Chez France Télécom on ne pouvait que se réjouir. Son PDG d’alors, Michel Bon, devait même déclarer dans son discours, lors de sa visite à l’île Maurice, qu’il s’agissait là d’une aubaine à ne pas manquer. Comme pour reprendre ce proverbe de François Marie Arouet (Voltaire), ‘le malheur des uns fait le bonheur des autres’.

 

Le bluff

Le fait est indéniable : les gains de productivité des entreprises privées ne bénéficient aucunement aux Mauriciens. Ces bénéfices reviennent aux actionnaires de ces entreprises, majoritairement étrangers à travers les prises de participation par les fonds de pensions et d’autres montages financiers de ce type qui prospectent les entreprises satisfaisant aux normes prescrites de « corporate governance ». Rien de choquant ; c’est le but même de l’actionnariat. Ce qui est totalement absurde, c’est cette manie de faire croire à la population que le retour à l’efficacité ne se fait que par des privatisations, qui est un mensonge énorme. Nul besoin d’être un génie pour comprendre qu’il est bien évidemment possible d’obtenir les mêmes performances tout en gardant les bénéfices de cette efficacité pour le pays. En matière d’efficacité, tout se résume finalement à une question de compétences.

 

L’imposition

Selon les analystes, la privatisation engendre des modifications organisationnelles profondes et elle consiste à placer la corporation sous la gouvernance du marché financier privé. Evidemment le gouvernement va justifier la privatisation comme une logique d’impulsion dynamique à l’économie du pays. D’autres arguments peuvent être servis, telle la réduction des dettes ou la résolution du problème de sous-capitalisation des entreprises publiques par le développement de l’actionnariat privé. Mais en arrière-plan, on privatise pour entrer dans la mouvance du libéralisme, se pliant ainsi à une des exigences des bailleurs de fonds qui ne sont disposés à aider que ceux qui s’engagent à désengager l’Etat dans l’économie.

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