Le 13 mars 2023, la Fondation Terre Solidaire inaugurait son 3ème cycle de conférences intitulé « Jeunes et climat ».
Cette première conférence aborde le mouvement des jeunes engagés pour le climat, cette « génération climat ». Ce mouvement est apparu en 2018 lorsque la jeune Greta Thunberg a initié une grève scolaire devant le Parlement de Stockholm pour réclamer des actions urgentes contre le changement climatique. D’autres mouvements tels que « Fridays for Future » ont également été créés, culminant en septembre 2019 avec plus de 3 millions de manifestants dans le monde. La pandémie de COVID-19 a ralenti cet élan, mais les questions soulevées par cette génération restent d’actualité. La conférence vise à dresser un état des lieux de cette génération, à comprendre ses motivations et ses modes d’action.
Les deux invités, Maxime Gaborit, doctorant en cotutelle au Centre d’études européennes et de politique comparée (CEE) de Sciences Po et au Centre de Recherche en Science Politique (CReSPo) de l’Université Saint-Louis – Bruxelles, et Victoria Guillomon, fondatrice et animatrice du podcast « Nouvel œil » et autrice d’un livre intitulé « Ce qu’on n’apprend pas à l’école » ont tour à tour répondu aux questions du journaliste Olivier Nouaillas.
Les multiples visages des jeunes engagés pour le climat
Avec le collectif Quantité critique, Maxime Gaborit a mené une étude sur la « génération climat » des 16-30 ans. Cette étude consistait à comprendre leur niveau de conscience écologique et leur engagement en faveur de l’environnement. L’étude publiée dans La Croix en 2021 et intitulée « Les multiples visages de la génération climat » a identifié cinq profils de jeunes :
– les modernistes à hauteur de 19%, qui souhaitent une adaptation du modèle économique actuel et croit en la technologie pour répondre à la crise ;
– les écos-investis pour 18%, qui veulent sortir du capitalisme, et sont très critiques vis-à-vis du système politique et économique ;
– les soutiens distants, qui ont conscience des enjeux mais n’agissent pas en conséquence. Ces derniers représentent 38% de l’échantillon étudié.
– Les indifférents à hauteur de 20%, qui sont indifférents à tout et pas seulement aux enjeux politiques.
– Et enfin les opposants représentés à hauteur de 6% qui nient la gravité de la crise écologique.
Victoria Guillomon ne se reconnait pas nécessairement dans ces 5 profils. Elle se décrit comme faisant partie d’une petite minorité de jeunes qui ont réussi à mettre en cohérence leurs convictions et leurs actions pour faire de l’écologie la cause principale de leur vie. Cela a été difficile pour elle de ne pas suivre la voie toute tracée vers un CDI. Ses parents ont eu du mal à comprendre sa quête de sens et son engagement pour l’écologie, car ils ont grandi avec le discours que le travail c’est la vie et qu’il faut travailler dur pour réussir sa vie. Ils ont été déstabilisés par son choix, mais elle a pu avancer grâce à ses convictions et à son envie d’être alignée au quotidien.
Les différents modes d’action des jeunes engagés pour le climat
Des actions radicales
Maxime Gaborit souligne qu’il y a une pluralité de mouvements différents qui ont des conceptions de l’écologie et de l’action différentes. Les marches pour le climat ont été un succès en termes de mobilisation, mais n’ont pas réussi à changer les politiques gouvernementales. En réponse à cela, les militants ont continué à chercher des moyens de faire avancer leur cause, ce qui a conduit à différentes stratégies, notamment une branche plus active et militante avec des actions plus radicales telles que le blocage d’aéroports ou d’autres actions choc. Toutefois, cela a également divisé le mouvement en plusieurs factions avec des perspectives stratégiques différentes. En fin de compte, la question de la radicalité est toujours présente et la nécessité de continuer à agir face à l’urgence climatique est une priorité pour tous ces militants.
La bifurcation
La question de la bifurcation a également été abordée, c’est-à-dire la décision de changer complètement de voie pour s’engager dans des actions en faveur du climat. Cette démarche est une composante importante de nombreux mouvements écologiques, aux côtés de militants plus traditionnels. L’enjeu écologique ne peut pas être pensé dans une opposition frontale entre l’engagement collectif et l’engagement individuel, mais nécessite une révision complète de notre rapport au monde.
Le parcours de Victoria en tant que « bifurqueuse » est exemplaire et admirable, mais pour Maxime Gaborit il ne représente qu’une minorité de ceux qui ont signé le manifeste étudiant « Pour un Réveil écologique ». Il existe une pluralité de manières de s’engager, notamment en choisissant des entreprises dans un domaine relativement proche de celui étudié, en travaillant pour des entreprises considérées comme plus éthiques ou en essayant de changer les entreprises de l’intérieur. En somme, Maxime Gaborit constate que les dynamiques des « bifurqueurs » sont plurielles et réapparaissent dans de nombreux mouvements écologiques.
Un choix de mode de vie en rupture avec le productivisme et la société de consommation
Dans son livre intitulé Ce qu’on ne m’a pas appris à l’école, Victoria Guillomon cite le terme de « sobriété heureuse », cher à Pierre Rabhi. Pour elle, la sobriété heureuse est importante dans le débat écologique, car elle permet de changer notre regard sur l’écologie, souvent perçu de manière négative et contraignante. La sobriété heureuse nous invite à vivre plus sobrement et à prendre soin de notre environnement, tout en prenant soin de nous-mêmes. Cela passe par nos relations, notre alimentation et notre mode de consommation. En adoptant une attitude plus sobre, nous pouvons trouver plus d’apaisement intérieur et plus d’espace mental pour d’autres réflexions. Victoria rattache cela à l’écologie intérieure et pense que si l’on arrive à considérer l’écologie de manière heureuse et bénéfique, cela pourrait permettre de changer notre regard sur l’environnement.
La participation et la représentation des classes populaires dans la génération climat
Dans son étude avec Quantité critique, Maxime Gaborit a montré qu’il y avait une sur-représentation massive des cadres et des professions intellectuelles supérieures, avec une sous-représentation importante des filles et fils d’ouvriers et des ouvriers en manifestation. Dans les enquêtes sur les Gilets jaunes, on avait vu un discours écologique porté différemment de celui des mobilisations pour le climat. Les Gilets jaunes étaient opposés à « l’écologie des riches » et étaient pour une écologie centrée sur des modes de vie plus justes et un réaménagement du territoire. Le mouvement pour le climat essaye d’organiser des liens avec des dynamiques militantes sur d’autres sujets pour inclure les classes populaires.
Victoria Guillomon estime que les personnes qui ont appris à vivre sobrement avec peu s’en sortent peut-être mieux que celles qui ont toujours vécu dans l’abondance et qui voient la sobriété comme une privation ou une contrainte.
Les différentes visions de l’engagement des jeunes pour le climat
D’un côté, il y a ceux qui prônent la sobriété heureuse, qui se concentrent sur la transformation individuelle et les pratiques écologiques du quotidien. De l’autre, il y a ceux qui militent de manière plus conflictuelle et revendiquent la nécessité d’un changement global et structurel, qui inclut une transformation du système économique. Le clivage ne se situe pas tant entre ces deux visions, mais plutôt entre ceux qui considèrent qu’il faut apprendre une transformation globale, y compris du système économique, et ceux qui pensent qu’il suffit d’un changement individuel. La question de la place de l’État dans cette transformation est également abordée : est-ce de la responsabilité de chaque individu de d’adopter des bonnes pratiques écologiques ou est-ce à l’Etat d’organiser cela ?
Maintenir l’engagement dans la durée en multipliant les formes d’engagement
Maxime Gaborit évoque la difficulté pour le mouvement climatique de maintenir l’urgence climatique dans la durée. Il y a une contradiction entre ceux qui pensent qu’on peut encore éviter le point de non-retour et ceux qui disent qu’on ne peut que limiter les dégâts. Il y a un impensé dans la pensée écologique qui consiste à croire que la prise de conscience écologique est un « one shot » et que cela suffit pour maintenir l’engagement à long terme. En réalité, maintenir ce niveau de conscience et d’engagement est beaucoup plus difficile pour la plupart des gens qui ne sont pas militants à temps plein. Il est donc nécessaire de multiplier les formes d’action pour que l’enjeu du climat reste en permanence dans la tête des gens. Cela peut être difficile compte tenu de l’accélération permanente de l’actualité.
En réaction au livre sorti récemment Trop tard pour agir ? de Hugo Viel, cofondateur de Friday for Future, Victoria Guillomon affirme qu’il n’est jamais trop tard pour agir. Le modèle de consommation actuel n’est pas viable. Il faut dessiner un monde de sobriété joyeuse pour l’avenir. Elle encourage à se concentrer sur la construction du monde de demain plutôt que de se demander s’il est trop tard pour agir. Elle pense que pour faire avancer la cause de l’écologie, il est important d’activer tous les leviers, mais également d’incarner cette cause au quotidien en mettant de la douceur et de la paix dans ses liens. Victoria est convaincue que la colère et la confrontation sur le long terme ne mènent à rien de bon et de durable. Elle encourage plutôt à incarner le changement avec beaucoup plus d’apaisement, comme Gandhi l’a enseigné, afin d’attirer la bonne énergie chez chacun vers la paix et la solidarité.