BEYROUTH (OIT Infos) – Un nouveau rapport de l’Organisation internationale du Travail (OIT) présente l’analyse la plus complète des données et des tendances de la productivité du travail dans la région des Etats arabes depuis les années 1950 jusqu’à ce jour.
Le rapport, produit par le Bureau régional de l’OIT pour les Etats arabes et le Bureau des activités pour les employeurs de l’OIT, analyse les principaux obstacles à la croissance de la productivité dans la région, et propose des recommandations pour augmenter la productivité en vue d’une reprise rapide de l’économie et de l’emploi.
La productivité du travail consiste à mesurer la production économique d’un pays, d’un secteur ou d’une entreprise en déterminant la quantité de produit intérieur brut (PIB) réel produite par le travail pendant une unité de temps spécifique. Il s’agit d’un indicateur économique important qui est étroitement lié à la croissance économique, à la compétitivité et au niveau de vie au sein d’une économie.
Des chercheurs de haut niveau issus de quatre continents ont composé le groupe de recherche qui a élaboré le rapport intitulé La croissance de la productivité, la diversification et le changement structurel dans les États arabes (en anglais). L’étude couvre la région des États arabes du Golfe et du Moyen-Orient, comprenant l’Arabie saoudite, le Bahreïn, l’Irak, la Jordanie, le Koweït, le Liban, le territoire palestinien occupé, Oman, le Qatar, la Syrie, les Emirats Arabes Unis et le Yémen.
«La Déclaration du centenaire de l’OIT pour l’avenir du travail souligne la nécessité de façonner un avenir du travail avec un plein emploi productif et librement choisi, et identifie la productivité comme une pierre angulaire de la réalisation d’une approche de l’avenir du travail centrée sur l’humain», a déclaré Ruba Jaradat, Directrice régionale de l’OIT pour les États arabes. «L’augmentation de la productivité du travail est une préoccupation que nous partageons avec nos mandants: employeurs, travailleurs et gouvernements. Nous la considérons comme un catalyseur pour créer du travail décent, une croissance inclusive et une prospérité partagée.»
«Le message de ce rapport novateur est fort et clair: les pays de la région peuvent faire de la reprise après la crise du COVID-19 une véritable opportunité de réaliser une croissance de la productivité dans leurs économies à l’avenir grâce à des réformes économiques ciblées», a déclaré la Directrice du Bureau des activités pour les employeurs de l’OIT, Deborah France-Massin. «Il s’agit notamment de placer la croissance de la productivité du travail parmi les priorités stratégiques des plans de développement nationaux, conformément à l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable.»
Tendances de la productivité du travail
Le rapport constate qu’après trois décennies de bonne croissance après la découverte du pétrole au début des années 1950, la productivité du travail a diminué depuis les années 1980 dans les économies arabes en général, et dans celles du Conseil de coopération du Golfe (CCG) en particulier. Le rapport a constaté une accélération du déclin de la productivité au cours des deux dernières décennies.
Par rapport aux autres régions, la région des États arabes est désormais la moins performante au niveau mondial en termes de croissance de la productivité.
Selon le rapport, entre 2010 et 2019, la croissance de la productivité a diminué de 0,8 % dans les pays du CCG et de 1,5 % dans les pays hors CCG. Dans les pays émergents et en développement des autres régions, en comparaison, elle a augmenté en moyenne de 3,1 % au cours de la même période, tandis que dans les économies avancées, elle a augmenté de 1 %, la moyenne mondiale enregistrant une hausse de 2,1 %.
«Les principales raisons de ces tendances à la baisse dans la région des États arabes sont le manque de diversification économique avec une dépendance à l’égard des secteurs à faible productivité, l’incapacité à investir les gains fiscaux dans la promotion de la croissance de la productivité, et le manque d’investissement dans la qualification de la main-d’œuvre pour répondre aux nouveaux besoins du marché du travail», a expliqué Paolo Salvai, spécialiste principal des employeurs pour les États arabes, qui a dirigé l’élaboration du rapport aux côtés de Jose Luis Viveros Añorve, responsable des activités des employeurs à l’OIT.
«Le transfert de l’activité économique de l’agriculture vers l’industrie manufacturière est une source majeure d’augmentation de la productivité dans les économies émergentes. Le rapport illustre le fait que la plupart des pays arabes sont passés par un processus de désindustrialisation prématurée, et qu’ils manquent donc actuellement d’un secteur manufacturier solide», a expliqué M. Salvai.
«Les stratégies économiques de la plupart des pays de la région se sont concentrées sur les secteurs des services à faible valeur ajoutée ou sur les secteurs de la finance et de la construction. Cela a entravé la croissance de la productivité, car les services sont moins intensifs en capital et moins ouverts à la concurrence internationale, ce qui nuit à la croissance de l’économie et de la productivité et a entraîné une augmentation de la main-d’œuvre informelle – une main-d’œuvre qui n’est pas couverte ou qui est insuffisamment couverte par des dispositions et des protections formelles», a-t-il ajouté.
Le rapport décrit les taux auxquels le secteur manufacturier représente le PIB national dans la région. Il est très faible au Liban (3,1 % du PIB national en 2020 contre 8,3 % en 2008), en Irak (3 % en 2020 et constant sur les 20 dernières années) et au Koweït (6 % en 2020 et constant sur les 20 dernières années).
La contribution de l’industrie manufacturière au PIB est relativement faible au Qatar et à Oman (7 % dans les deux cas en 2020), modérée en Arabie saoudite (13 % mais en croissance), et relativement élevée en Jordanie (17 % du PIB en 2020 mais en déclin, après avoir représenté 21,2 % du PIB en 2008). En Syrie, il s’élevait à 15 % du PIB avant le conflit qui a débuté en 2011, mais aucune donnée actuelle n’est disponible.
Par rapport aux pays d’autres régions, la contribution de l’industrie manufacturière au PIB s’élevait en 2020 à 27,4 % en Corée du Sud, 25 % en Thaïlande, 15 % en Roumanie, 14,8 % en Italie, 12 % au Pérou et 18 % en Allemagne.
Obstacles au développement durable des entreprises
Les petites et moyennes entreprises (PME) emploient 97 % des travailleurs de la région (contre 70 % au niveau mondial). L’environnement commercial actuel est préjudiciable au commerce et décourage l’internationalisation et la croissance des PME, affirme le rapport.
Les chefs d’entreprise régionaux interrogés ont identifié des obstacles à la croissance de la productivité découlant d’environnements commerciaux défectueux. Parmi ces obstacles figurent l’instabilité politique, le manque d’accès au crédit pour les investissements et les fonds de roulement, un système fiscal laxiste et un manque d’accès à l’électricité, ce dernier point constituant l’une des principales préoccupations dans les pays non-membres du CCG.
Les chefs d’entreprise ont également souligné la taille inadéquate du marché. Les exportations de la région n’atteignant qu’un tiers de leur potentiel, le rapport estime qu’en favorisant l’intégration régionale par la suppression des barrières commerciales et la création de zones de marché unique, le potentiel d’exportation de la région pourrait augmenter de façon spectaculaire.
La voie du redressement
La pandémie de COVID-19 a exacerbé les problèmes existants dans la région, notamment la faiblesse des institutions publiques, l’instabilité économique et politique, les économies non diversifiées et les taux de chômage élevés.
Le rapport recommande un ensemble de politiques pour les pays de la région afin qu’ils révisent leurs stratégies nationales de développement et donnent la priorité à la croissance de la productivité, à la diversification et au changement structurel dans la période de redressement post-pandémique.
Selon le rapport, la priorité la plus urgente aujourd’hui est d’axer les stratégies économiques sur la diversification dans les pays dépendant du pétrole et sur un changement structurel plus large dans les pays ne dépendant pas du pétrole. Il recommande d’y parvenir par le biais d’un processus de privatisation bien géré, afin de s’éloigner des systèmes économiques rentiers de la région qui s’adressent principalement aux populations à revenu élevé, et par la conception et la mise en œuvre de politiques de développement industriel et productif.
Une deuxième recommandation prioritaire est de mieux aligner les investissements dans les compétences et l’éducation sur les politiques nationales de développement industriel et productif, et de veiller à ce que les systèmes éducatifs anticipent et préparent les besoins futurs du marché du travail.