Au cours des dernières décennies, l’émergence d’une nouvelle strate au sein de la structure gouvernementale suscite l’inquiétude du public quant à son utilité, sa responsabilité et son coût. Si les membres démocratiquement élus jouissent de la légitimité de mener la danse, cette nouvelle espèce s’est imposée comme une ombre dotée d’un plus grand pouvoir, demeurant toutefois à l’abri de tout contrôle. Plein feux sur ces parasites voraces qui déferlent, laissant derrière qu’une grande puanteur.
Lors de la séance de l’Assemblée nationale du 21 juillet 2020, la Private Notice Question du leader de l’opposition portait à nouveau sur le scandale des achats d’urgence de fournitures médicales, avec des questions supplémentaires sur l’implication d’un conseiller du gouvernement. Durant cette même séance, lors du créneau des questions adressées au Premier Ministre, d’autres interpellations était à l’ordre du jour. Il a fallu, une fois de plus que le Président de la chambre s’érige en « Baby Sitter » ainsi que des manœuvres burlesques du Premier ministre dans le but de s’en sortir d’un embarras certain. Ce qui suscite une plus grande inquiétude sur l’opacité qui entoure les rôles, le statut, les normes éthiques et la responsabilité des conseillers.
Brin d’histoire
Dès 1887, sortant de l’Université Johns Hopkins, Thomas Woodrow Wilson, qui fut plus tard le 28e président des États-Unis d’Amérique, exprima sa crainte sur l’émergence de bureaucrates professionnels qui, selon lui, s’appuierait sur des politiciens stupides pour devenir une classe à part. En 1958, l’un des plus grands théoriciens et père de la bureaucratie moderne, Max Weber a fait écho de son scepticisme à l’égard du lien politico-bureaucratique. Ces deux esprits brillants ne savaient pas que, quelques années plus tard, une nouvelle strate (Spads– Special advisors) germera pour déjouer à la fois les bureaucrates et les politiciens.
Dans son livre « People who live in the dark », l’auteur et universitaire britannique Andrew Blick nous éclaire sur l’apparition de ce nouveau phénomène dans la politique britannique. Initialement ces professionnels non élus recrutés dans le but de conseiller sur des questions spécifiques étaient reconnus pour leur perspicacité et ont contribué par leur perspective historique et analytique. Des colosses comme John Maynard Keynes, Lord Cherwell, William Beveridge Bernard Donoughue et bien d’autres ont marqué leur mandat en tant que conseillers spéciaux avec un héritage qui va bien au-delà des frontières du Royaume-Uni. Une course qui s’est écrasée de manière irréparable à l’époque du cabinet fantôme de Tony Blair.
L’inquiétude a grandi au point qu’en 2010 le Select Committee du House of Lords examinant « Le rôle du Conseil des ministres dans la gouvernance » a longuement été débattu sur l’influence des conseillers. Parmi ceux qui avaient déposés on note : L’ancien secrétaire du Cabinet, Lord Turnbull, le Chancelier Lord Morris d’Aberavon, l’ancien ministre de la justice Lord Lyell de Markyate et l’ancien ministre du travail Lord Rodgers de Quarry Bank. Ils étaient unanimes dans leurs témoignages de la mainmise des conseillers sur le pouvoir, l’ingérence dans les affaires de l’état et les petites manigances politicailles. Mis à part une infirme minorité de conseillers technocrates qui interviennent pour prodiguer des conseils sur l’expertise dont ils disposent, les autres sont là pour défendre des intérêts personnels, fuiter des informations, bousculer les fonctionnaires, porter les valises ou prendre des photos.
Ailleurs dans le monde
Attardons nous sur L’Inde qui depuis peu, est devenue l’ultime référence du gouvernement mauricien quand il s’agit de politiques et de pratiques. Une absurdité absolue, étant donné l’incomparable taille, histoire, démographie, réalités et les différences structurelles entre les deux pays. Néanmoins, si nous jouons le jeu selon leurs règles, nous pouvons creuser quelques comparaisons que le gouvernement n’oserait jamais contester. C’est impossible de comparer la cuvée actuelle de conseillers au service du gouvernement à des gens comme P.K Mishra ou Ajit Kumar Doval, tous deux conseillers de Narendra Modi.
PK Mishra est issu du service administratif indien (IAS : Indian Administrative Service) de 1972. Titulaire d’un diplôme en économie et d’un doctorat de l’Université de Sussex, son livre (sur la gestion des catastrophes publié en 2005, aborde la préoccupation commune de construire un pays résilience aux catastrophes, de la réduction des ressources humaines, sociales, des pertes économiques et environnementales) a été acclamé dans des pays lointain à l’instar du Japon. De son côté, Ajit Kumar Doval est passé par le service de police indien (IPS : Indian Police Service), est l’actuel conseiller à la sécurité nationale du Premier ministre indien et a précédemment occupé le poste de directeur du bureau de renseignement après avoir passé une décennie à la tête de son aile opérationnelle. C’est encore plus ridicule quand on compare le salaire et les avantages dont bénéficient les conseillers du gouvernement mauricien. Tous les conseillers au service du gouvernement Modi sont des personnes ayant juré fidélité à leur pays, s’abstiendront de se mêler à la politique politicaille du parti. L’absurdité serait abyssale si l’on y inclut les fanatiques de droite qui ont tendance à comparer le MSM au BJP et Modi – Jugnauth. Imaginez un peu, un conseiller gagnant plus que Modi et dont la fonction est d’apprendre au soi-disant chef hindou local à marmonner quelques mots en hindi. Incredible Mauritius !
La Nouvelle-Zélande serait un autre exemple fort intéressant. Il n’a fallu que quelques années à Jacinda Ardern pour gagner une reconnaissance mondiale grâce à ses actions et à la construction organique de son image. Le succès d’Ardern est également dû à l’efficacité de son équipe de personnel d’encadrement actuellement dirigée par Raj Nahna, qui a précédemment servi au sein de la dream team d’Obama. Loin de s’occuper uniquement des relations avec les médias, Raj Nahna dirige le bureau politique d’Ardern et offre des conseils sur presque toutes les questions relatives au pays. L’exemple de Jacinda Ardern montre clairement à quel point l’efficacité des relations publiques dépendent du contenu et non du bluff. En faisant de la responsabilité la pierre angulaire de son programme, elle a tenu compte de l’appel de son peuple et ses actions soutenues ont été reconnues bien au-delà des frontières de la Nouvelle-Zélande.
Relations publiques vs Proxénétisme
A vrai dire, les pratiques mauriciennes ressemblent plus à celles de la France avec son lot de courtisans trainant les couloirs du pouvoir, partant de François de Grossouvre à un certain Alexandre Benalla. Aussi les observations des membres distingués du House of Lords présentent d’étranges ressemblances avec ce dont nous témoignons à ile Maurice. Plus les politiciens sont nuls, plus ils dépendent des conseillers. Le gouvernement actuel de Pravind Jugnauth compte plus de conseillers que de ministres et compte tenu de ceux camouflés dans des organismes parapublics, il serait juste de dire que le nombre de conseillers dépasse de loin le nombre même de députés. Fait intéressant, ils servent tous un objectif unique – Gérer l’image du Premier ministre.
C’est une tradition depuis l’ère postcoloniale que la loyauté des vassaux soit le seul critère de recrutement des conseillers. L’accouplement de politiciens dilettantes et des conseillers stupides ne peut que s’incuber dans un chaos parfait. Pire encore, des fonctionnaires s’accrochant à ces conseillers se prennent pour des dieux. Partageant son expérience, un haut fonctionnaire retraité nous raconte la nullité de certains de ses conseillers: « Chaque fois que je tombais sur un ministre stupide et ses conseillers, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer un menhir, sans signification en plein milieu de la prairie et ces ânes qui viennent pour se frotter les fesses. Vous ne pouvez imaginer à quel point les conseillers passent leur temps à encenser le gouvernement» .
L’essentiel des relations publiques vise à établir et à favoriser les liens avec des communautés importantes basés sur le contenu. Mais ici, on préfère plagier les campagnes des dirigeants étrangers ou de publicités internationales pour atteindre par ricochet un public local. Des gestes coûteux et maladroits qui finissent toujours par avoir un effet boomerang. Les initiatives des conseillers sur les archipels des Chagos, la campagne Covid Free, Nas daily , la publicité à coup de millions dans le magazine Economist, les interventions sans queue ni tête sur les chaines de BBC , CNN et autres, sont des exemples de hautes voltiges où on finit toujours par atterrir sur la tête .
Pour un pays outrancièrement endetté dont les citoyens ne peuvent s’offrir de produits de première nécessité, dépenser des millions pour des conseillers qui à leur tour dépensent encore plus afin de promouvoir l’image de leur leader constitue un crime ridicule. La transformation des conseillers en éléments institutionnalisés de la structure gouvernementale a conduit à la politisation de la fonction publique, sabotant par là même, le sacro-saint processus démocratique. Les procédures de nomination obscures, les échelles salariales inquiétantes, les avantages et l’absence de contrôle ne sont qu’une partie des raisons de la méfiance du public. Comme nous pouvons l’observer, leur inconduite, leurs liens étroits avec le secteur privé et leur influence scandaleuse sur les politiques publiques sont les principales causes de protestations populaires.
En tolérant les errements méprisables de certains conseillers, les politiciens doivent en assumer leur part de responsabilité. En donnant la priorité à leur gain personnel, aiguillant l’octroi des contrats et devenant des lobbyistes de la privatisation des biens publics, ces conseillers sont sans ambiguïté aucune, un danger envers l’intérêt du pays.
C’est sans compter, les actes barbares et arbitraires qu’ils font subir aux contestataires du gouvernement. Il ne faut pas s’étonner non plus qu’avec le nombre d’histoires de culs, soirée fine impliquant conseillers, leurs maitres et maitresses, le gouvernement ressemble davantage à un bordel. Cette obstination à vouloir continuellement présenter le Premier ministre tel que le mystérieux héros de Stalingrad, Vassili Zaïtsev, ne pourra durer longtemps et révèle plus du proxénétisme que de relations publiques. Quoi qu’il en soit, les élus ont intérêt à se rappeler que tout comme les filles de joie, pour les conseillers, le nom du client importe peu.