Le « Parti colonial » français n’a toujours pas digéré la perte de son Empire, par Thierry Meyssan

Le président François Hollande place son quinquennat sous les auspices de Jules Ferry, le chantre du colonialisme français. Il choisit simultanément le général Benoît Puga comme chef de son état-major particulier. Ce dernier n’est pas un militaire comme les autres, mais un grognard du colonialisme ayant sauté sur Kolwezi (sur ordre du président Giscard d’Estaing), supervisé les travaux du Mur de séparation en Palestine, et déjà servi comme chef d’état-major particulier (pour le président Nicolas Sarkozy).

La révolte kanak en Nouvelle-Calédonie et l’insécurité grandissante à Mayotte mettent en évidence la difficulté de la France avec son ancien Empire.

Les deux France et la colonisation

Pour comprendre ce qui se passe, il faut garder en tête que la colonisation française n’a aucun rapport avec les formes de colonisation du Royaume-Uni, du Portugal, de l’Espagne ou des Pays-Bas. L’idéal républicain, qui est celui de la France depuis le XVII°siècle (Henri IV est le premier monarque à s’être déclaré républicain), lui interdisait de coloniser exclusivement pour s’enrichir. Les chantres français du colonialisme prétendaient tous « faire œuvre de civilisation ». Par république, j’entends le fait de gouverner dans l’intérêt général et non dans celui d’une caste ou d’une classe sociale.

Du XVI° au XIX° siècle, la plupart des peuples colonisés ne disposaient ni de l’éducation des Européens, ni de leurs techniques. Certains souhaitaient combler ce fossé, d’autres, au contraire pensaient à l’exploiter. Tout au long de l’épopée coloniale, deux courant se combattaient en France, l’un pour l’émancipation, l’autre pour la colonisation. Cette bataille interne trouva son expression dans le débat parlementaire opposant le socialiste Jules Ferry au radical républicain Georges Clemenceau, le 31 juillet 1885 à l’Assemblée nationale.

Écoutons un instant le discours de Georges Clemenceau :

« Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu’elles exercent, et ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un devoir de civilisation ». Voilà les propres termes de la thèse de Monsieur Jules Ferry et l’on voit le gouvernement français exercer son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ! Races inférieures, c’est bientôt dit ! Pour ma part, j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants allemands démontrant scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande [1870] parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand. Depuis ce temps, je l’avoue, j’y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et une civilisation, et de prononcer : homme ou civilisations inférieurs (…) Race inférieure, les Chinois ! avec cette civilisation dont les origines sont inconnues et qui paraît avoir été poussée tout d’abord jusqu’à ses extrêmes limites. Inférieur Confucius ! En vérité[…] on y peut voir des documents qui prouvent assurément que la race jaune […]n’est en rien inférieure [à celle des Européens].

D’un point de vue économique, la colonisation française visait à trouver des débouchés pour exporter la production industrielle, tandis que la colonisation britannique visait, au contraire, à trouver des matières premières et à les mettre au service de l’industrie du Royaume-Uni.

D’un point de vue philosophique, la colonisation française a été justifiée par la théorie des races et de leur hiérarchie. Mais il était clair dès le début, qu’aucun Français ne pouvait y croire. Cet argument ressortait exclusivement de la communication politique. Au demeurant, à la différence des autres peuples coloniaux, les Français ont toujours tenté de comprendre la civilisation des pays où ils s’implantaient, et de se mélanger aux autres peuples. Au contraire, les Britanniques créaient des clubs exclusifs pour eux dans leurs colonies, tandis que les Allemands interdisaient les « mariages inter-raciaux » (1905).

Après la guerre franco-allemande de 1870, les nationalistes rêvaient de libérer l’Alsace-Moselle, dont, durant 48 ans, ils avaient recouvert de crêpe noire la statue qui orne la place de la Concorde. Au contraire, les partisans de la colonisation entendaient détourner les armées de leur mission de défense de la nation et en faire des « forces de projection », capables de conquérir de lointains horizons.

C’est pourquoi il est injuste aujourd’hui de juger la colonisation française comme un ensemble, qui serait bon ou mauvais en soi, car partout, les deux courants ont laissé leurs empreintes. Je me souviens avec émotion du président de l’Assemblée du Peuple syrien qui me fit visiter les bâtiments de son institution. Il m’expliqua d’abord qu’ils avaient été bombardés deux fois par le « Parti colonial » français. La première, en 1920, pour imposer le mandat de la SDN, la seconde en 1945, alors que la Syrie était indépendante depuis quatre ans et participait à la création des Nations unies. Après nous être inclinés devant le monument aux morts du parlement, le président me raconta l’histoire du jugement d’un leader révolutionnaire qui appelait à chasser l’occupant français. Devant le tribunal militaire, son avocat plaida que ce Syrien n’avait rien fait d’autre que son devoir patriotique, en pleine conformité avec l’idéal de la République française. Les jurés, désignés au hasard parmi les soldats français, décidèrent à l’unanimité de le libérer. Ce à quoi les généraux répondirent en les mutant dans d’autres colonies et en les plaçant en première ligne, dans l’espoir qu’ils tombent au champ d’honneur. Le président de l’Assemblée me fit alors part de ses réflexions : en définitive, beaucoup d’entre nous sont morts, victimes du « Parti colonial », mais vous aussi en France, vous avez payé le prix du même idéal qui nous anime tous deux. Par bien des égards, la colonisation française est une horreur, mais ce n’était pas la volonté de la France, puisque non pas un, mais la totalité des jurés qu’il avait cités, avaient fait cause commune avec les révolutionnaires syriens, et que le bombardement de 1945 fut une initiative du général Oliva-Roget à l’insu du gouvernement provisoire de Charles De Gaulle qui le limogera immédiatement.

Pourtant lorsque la décolonisation arriva, des militaires français qui venaient de libérer leur pays de l’occupation nazie, décidèrent de prolonger le rêve impérial. Le bombardement de Damas annonce les massacres de Haïphong (Indochine) et de Sétif (Algérie). Aussi livrèrent-ils des guerres atroces pour la grandeur de l’Empire. Ces hommes étaient convaincus qu’ils ne devaient pas abandonner les peuples conquis et partiellement intégrés dans la République. Leur engagement n’avait aucun rapport avec des partis politiques, certains étaient de droite, d’autres de gauche. Ils étaient juste incapables de penser du point de vue des peuples colonisés.


Cette médaille en nickel, éditée par la SLN (Société Le Nickel) dans les années 60, représente au revers la semeuse de la monnaie française, la pièce de 25 centimes des Pays-Bas, et la monnaie grecque. À l’avers, le logo de la société. À l’époque la société était contrôlée par les Rothschild. Aujourd’hui la loi garantit l’anonymat des propriétaires.

La Nouvelle-Calédonie

Ce blocage intellectuel se manifeste aujourd’hui encore à propos de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte. De nombreux Français sont incapables de penser le bien-fondé des indépendances. Le « Parti colonial » —qui n’a jamais été un parti politique, mais un lobby transpartisan— est toujours à l’œuvre. Pour convaincre les indécis, il lui suffit de cacher certaines pièces du puzzle. Mais, généralement, lorsqu’ils en sont informés, les Français prennent position pour les indépendances et s’excusent de ne pas les avoir soutenues jusque-là.

Les Français ont un vague souvenir du référendum national de 1988, approuvant les accords de Matignon. Ils savent qu’un processus de décolonisation avait été amorcé en Nouvelle-Calédonie et que, sous trente ans, les Kanaks décolonisés pourraient décider soit de rester au sein de la République, soit de devenir indépendants. L’idée qu’une fois éduqués, les peuples colonisés pourraient s’intégrer en pleine égalité au sein de la République figurait encore dans le texte de la Constitution jusqu’en 1995, sous le nom de « Communauté française » (Titre XII).

Les Français ne comprennent pas pourquoi une subite flambée de violence a coûté la vie à une dizaine de personnes et provoqué un milliard d’euros de dégâts.

La presse joue ici encore un rôle de propagandiste en masquant de nombreuses informations. Certes, par trois référendum locaux successifs, les Néo-Calédoniens ont rejeté leur indépendance. Le dernier (2021) l’a même rejeté à la majorité écrasante de 96,5 %. Certes, les indépendantistes ont massivement boycotté cette consultation, mais c’est, nous dit-on, parce qu’ils étaient sûrs de perdre. Pas du tout ! Ils ont demandé le report du scrutin d’abord d’un an, puis par esprit de compromis, de deux mois seulement. L’archipel était traversé par la pandémie de Covid-19. De nombreuses personnes âgées étaient mortes. Dans la culture kanak, un deuil d’un an est requis après chaque décès. Il était donc impossible aux indépendantistes de mener une campagne électorale dans cette période, de même qu’il était impossible pour leur peuple, durant ce deuil, de décider de son indépendance au sein ou à l’extérieur de la République. En définitive, ils proposèrent de réduire le report du scrutin de deux mois afin de pouvoir accomplir leurs rites funéraires. Le refus par le président Emmanuel Macron de tout arrangement a été perçu comme un refus de leur culture. Non seulement les indépendantistes ont donc boycotté ce référendum, mais avec eux presque tous les Kanaks. Ce n’était pas une question politicienne, mais culturelle. Le respect et la confiance qui avaient été forgés en trente ans ont été balayés en trois ans.

Comme si cela ne suffisait pas, le processus de l’Accord de Matignon prévoyait un transfert irréversible de certaines compétences de Paris à Nouméa. En outre, à l’issue du processus de décolonisation et des trois référendum locaux, le corps électoral néo-calédonien serait élargi aux personnes s’étant installées sur le territoire après 1988. Les partisans du rattachement à la République, ou pour être plus clair, les partisans de la colonisation, firent un forcing pour effectuer au plus vite ce réajustement. Démographiquement, les Kanaks sont en effet devenus minoritaires chez eux. Les « loyalistes » (sic) ont organisé diverses manifestations auxquelles les Kanaks ont répondu par des contre-manifestations réunisant deux fois plus de monde. Le président Emmanuel Macron a alors inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et du Sénat la convocation des deux assemblées en Congrès pour inscrire dans la Constitution le nouveau corps électoral néo-calédonien. C’est ce qui a mis le feu aux poudres.

Les « loyalistes » et le président Emmanuel Macron sont donc les seuls responsables de l’arrêt du processus de décolonisation et des émeutes qui ont suivies. Le voyage éclair du président Macron en Nouvelle-Calédonie n’a pas apporté quoi que ce soit de nouveau. Au contraire, il a confirmé, par son absence de propositions, qu’il continuerait à ne pas écouter les Kanaks et à mépriser leur culture. Il est donc certain que la situation ne pourra que s’aggraver dans les trois prochaines années. Il est peu probable que le successeur d’Emmanuel Macron sera en mesure de réparer ses dégâts. Les États riverains considèrent tous que la Nouvelle-Calédonie gagnera son indépendance par la force. Aussi, pour protéger leurs ressortissants de la violence de la révolution qui vient de commencer, les ont-ils rapatriés.

La principale source de richesse de la Nouvelle-Calédonie, c’est l’exploitation du Nickel. Celle-ci est répartie entre deux sociétés, la SLN et Prony Ressources. Elles disposent d’une organisation à l’anglaise qui permet de masquer l’identité de leurs actionnaires. Avant l’accord de Matignon (1988), le secteur était entièrement contrôlé par les Rothschild, anciens employeurs d’Emmanuel Macron.

Impossible de trouver une photographie plus précise de la base d’interception des Badamiers à Mayotte. Il en existe une comparable à Tontouta, en Nouvelle-Calédonie. Ces deux stations sont indispensables au système d’interception électromagnétique de la France en particulier et de l’Occident en général.

Mayotte

Le cas de Mayotte est très différent dans la mesure où il n’y a pas de mouvement indépendantiste, mais une volonté des Comores de refaire leur unité comme la France avait refait la sienne en récupérant l’Alsace et la Moselle. Ce point, je l’indiquais plus haut, les partisans de la colonisation n’en voulaient pas.

En 1973, la France avait négocié un accord avec le président du Gouvernement du territoire, Ahmed Abdallah Abderamane. Il fut signé par le ministre de l’Outre-mer, le centriste Bernard Stasi. Paris s’engageait à organiser un référendum d’indépendance dans tout l’archipel et de ne pas les diviser.

Les Comores votèrent massivement pour leur indépendance, à l’exception de l’île de Mayotte. Les partisans de la colonisation firent alors valoir que l’article 53 de la Constitution de 1958 précise que « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées ». Or, Mayotte a été achetée par la France avant le reste de l’archipel et la loi référendaire précisait que Paris appliquerait la volonté « des populations » et non pas de « la population ». Le président Valéry Giscard d’Estaing, qui avait été partisan de l’Algérie française, décida de séparer Mayotte de l’archipel. L’Union des Comores entra aux Nations unies, sans Mayotte. À l’époque presque tous les États-membres de l’Onu s’indignent du non-respect par la France de son engagement écrit de 1973.

Par la suite, le « Parti colonial », qui n’a pas plus digéré cette indépendance que les autres, tentera de récupérer le contrôle du reste de l’archipel. Les deux courants qui se sont affrontés à propos de la colonisation se combattirent à nouveau. Mais depuis la fin de l’indépendance de l’Algérie, le « Parti colonial » ne pouvait plus compter sur l’armée. Il s’appuya donc sur un ancien soldat passé au privé, le « mercenaire » Bob Denard. En définitive, le président Nicolas Sarkozy, en 2009, transforma Mayotte en département, comme cela était le cas de l’Algérie avant de son indépendance.

Aujourd’hui, l’afflux de Comoriens à Mayotte provoque des violences généralisées, alors qu’il n’y a pas de violence dans l’Union des Comores. D’un point de vue français, ces migrants sont illégaux, mais d’un point de vue comorien, ce sont les Français sur place qui sont illégaux. En 2023, le ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, a déployé 1 800 policiers dans le cadre de l’opération Wuambushu (reprise en main). C’est un peu plus qu’aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie. Pendant ce temps on scandait « Non à la France », « Non à la présence française à Mayotte » dans de grandes manifestations à Moroni.

Mayotte est nécessaire à l’armée française. Elle y stationne une unité de la Légion étrangère qui

contrôle les îles Glorieuses (elles-mêmes territoire de Madagascar illégalement occupé par la France). Surtout, elle y dispose d’un centre d’interception électromagnétique connecté au réseau Échelon des « Cinq yeux » (Australie, Canada, États-Unis, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni).

C’est pourquoi les États qui souffrent de l’espionnage occidental soutiennent d’ores et déjà le rattachement de Mayotte à l’Union des Comores. C’est notamment le cas de la Russie et de la Chine.

Conclusion

Certains des territoires et départements d’Outre-Mer n’ont pas fait l’objet de colonisation, par exemple l’île de la Réunion était déserte avant de devenir propriété de la France. D’autres, comme la Guadeloupe et la Martinique ont été colonisés, puis décolonisés. La France peut donc les conserver de plein droit tant que les populations autochtones l’acceptent. Cependant, elle doit conserver à l’esprit que tout abandon des populations locales les poussera à exiger leur indépendance. C’est ce qui s’est passé en Nouvelle-Calédonie.

Dans d’autres cas, comme à Mayotte, la France a violé sa parole en divisant les Comores. Quelle que soit la suite des évènements, elle n’est plus chez elle et devra un jour restituer cette île à l’archipel dont elle l’a privée.

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