La Pologne est gouvernée par les conservateurs de Droit et Justice (PiS). Cette formation politique est profondément opposée à l’Union européenne, non seulement comme projet supranational, mais aussi comme unité du continent. En effet, tout au long de son histoire, la Pologne a totalement disparu quatre fois. Leurs puissants voisins russes et allemands se sont souvent partagés son territoire. Les Polonais ne veulent donc pas d’une unité continentale qui les a déjà plusieurs fois asservis. Au contraire, ils se souviennent avec nostalgie de la période où ils s’affirmèrent en alliance avec la Lituanie. Ils promeuvent donc une troisième voie, entre Moscou et Berlin : le « prométhéisme ». Il s’agit de s’affranchir à la fois des influences russes et allemandes et de se développer avec ses voisins d’Europe centrale. C’est le projet de l’« Intermarium », dénommé depuis 2016 « Initiative des trois mers » : confédérer tous les États de la Baltique à la Méditerranée et à la mer Noire. Sachant que pour Varsovie, l’Initiative des trois mers doit, à terme, remplacer l’Union européenne, la Pologne ne peut pas compter sur Bruxelles. Elle s’est trouvée un nouvel allié avec les États-Unis, grande puissance lointaine et donc, a priori non dangereuse.
Cette alliance s’est illustrée lors de la guerre contre l’Iraq. La Pologne s’y est investie sans compter, par fidélité à son nouvel allié. Elle a utilisé les fonds que l’Union européenne plaçait à sa disposition pour mettre son économie à niveau, pour acheter… des avions de combat US.
La défiance des Polonais vis-à-vis des Russes ne doit pas masquer celle qu’ils éprouvent vis-à-vis des Allemands. La semaine dernière, le chancelier allemand, Olaf Scholz, a tenté de s’immiscer dans la campagne électorale polonaise en assurant que le scandale des visas se poursuivait. Piotr Wawryk, ministre adjoint des Affaires étrangères, a déjà démissionné après que l’on eût révélé que son administration vendait pour 5 000 euros des visas polonais. Cette nouvelle accusation ne repose sur rien, mais elle était censée mettre en cause la gestion du PiS. Zbigniew Rau, le ministre polonais des Affaires étrangères, l’a très mal pris. Il a rappelé sans ménagement à l’Allemagne le principe du respect de sa souveraineté.
Si la majorité des Polonais soutient le nationalisme du PiS, l’opposition est organisée autour de la Plate-forme civique de l’ancien président du Conseil européen (2014-19), Donald Tusk. Celui-ci a joué quand il était enfant avec l’ancienne chancelière allemande, Angela Merkel. Les deux familles se connaissaient et avaient le privilège de pouvoir voyager au sein du bloc de l’Est. Donald Tusk espérait pouvoir l’emporter cette fois contre le PiS. Il prenait à son compte les accusations de Bruxelles contre le gouvernement de Mateusz Morawiecki et la conception de la liberté du PiS. Il s’appuyait sur le fait que Bruxelles n’a toujours pas versé les subventions allouées au titre du Fonds pour la reprise et la résilience (FRR). Cependant les événements actuels ne lui sont pas favorables, ni à lui, ni à l’UE.
Au début de l’opération militaire spéciale russe en Ukraine, Varsovie s’est déclaré solidaire de Kiev parce que Washington appelait à se mobiliser contre Moscou. Il lui est paru normal de donner asile à 1,5 million d’Ukrainiens et d’intégrer cet ex-pays soviétique à l’« Initiative des trois mers ». Cependant, les Polonais ne savaient pas plus que les autres ce qui se passait réellement en Ukraine. Historiquement, ils se souvenaient que les « nationalistes intégraux » ukrainiens avaient soutenu les nazis et massacré, sous leurs ordres, 120 000 Polonais. Cependant, depuis la dislocation de l’Union soviétique, ils ont accepté quantité d’Ukrainiens comme travailleurs immigrés. Ils prirent donc sur eux pour recevoir charitablement les femmes et les enfants de leurs pauvres voisins.
Le gouvernement du PiS a alors interdit toute critique de l’Ukraine de Volodymyr Zelensky qu’il interprétait comme une « propagande russe ». Ainsi, dès le début de la guerre, le Conseil de Défense polonais a interdit aux opérateurs internet de relayer le site « Voltairenet.org » et les articles du Réseau Voltaire dans le pays. Cette censure militaire a empêché la classe dirigeante polonaise de comprendre ce qu’était vraiment le gouvernement Zelensky. La Pologne est devenue le principal allié militaire de l’Ukraine, après les États-Unis.
Le 22 septembre 2023, la Chambre des communes du Canada a reçu le président Volodymyr Zelensky pour qu’il prononce un discours solennel. Après son intervention, le président de séance, Anthony Rota, présenta un membre du public comme « un vétéran ukraino-canadien de la Seconde Guerre mondiale qui s’est battu pour l’indépendance de l’Ukraine contre les Russes » et à la fois comme « un héros ukrainien et un héros canadien », membre de la « 1° division ukrainienne ». Le Premier ministre Justin Trudeau, les parlementaires et le public applaudirent à tout rompre. Cependant immédiatement, des associations juives outrées protestèrent : la « 1° division ukrainienne », c’est la SS Galicia ! Après trois jours de polémique, Anthony Rota présenta ses excuses aux juifs et finit par démissionner. Mais l’ambassadeur de Pologne, Witold Dzielski, ne l’entendit pas de cette oreille. Il exigea des excuses pour l’insulte faite aux 120 000 Polonais massacrés par les nationalistes intégraux ukrainiens. Przemyslaw Czarnek, ministre polonais de l’Éducation, a débuté une procédure d’extradition de l’ancien SS.
En un instant le bluff ukrainien, s’est dissipé aux yeux des Polonais. Comme l’a fait remarquer Beata Szydło, ancienne Première ministre du PiS et aujourd’hui députée européenne, le problème n’est pas l’ignorance d’Anthony Rota, mais bien l’attitude du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et celle de la vice-Première ministre canadienne, Chrystia Freeland (co-rédactrice de l’Encyclopédie de l’Ukraine). Aucune de ces personnalités ne peut prétendre ignorer ce qu’était la « 1° division ukrainienne » de sinistre mémoire. Or, aucune n’a manifesté la moindre gêne et prévenu le Premier ministre Justin Trudeau de ce qui était en train de se passer. Au contraire, elles ont applaudi avec fierté.
Notons que le « héros ukrainien » n’était pas membre des troupes de combat de la SS. Il appartenait à une unité de représailles, chargé d’assassiner des populations qui résistaient au III° Reich.
Dès lors comment ne pas se souvenir que les deux plus importantes batailles de la guerre d’Ukraine se sont tenues à Marioupol et à Bakhmout ? Elles ont toutes deux été livrées sous le commandement du chef militaire des nationalistes intégraux, Andriy Biletsky, alias le « Führer blanc », avec qui le président Zelensky vient de se faire filmer, il y a un mois.
Du coup, les Polonais réalisent avoir agi avec précipitation en accordant un statut d’observateur à l’Ukraine au sein de l’« Initiative des trois mers ». Il est évident que, bien que juif, Volodymyr Zelensky s’appuie sur les « massacreurs de juifs », selon l’expression du général israélien Benny Gantz.
L’incident canadien survient alors que les paysans polonais sont vent debout contre la concurrence déloyale de l’industrie alimentaire ukraino-états-unienne. Trois multinationales de l’agro-alimentaire US, Cargill, Dupont et Monsanto, ont racheté un quart du territoire ukrainien. Elles importent leurs céréales et leurs poulets dans l’Union européenne à des prix imbattables. Elles ne payent pas leurs semences OGM offertes par le département d’État US. La Commission européenne avait d’abord interdit leur importation, sachant que ces produits ne remplissent pas les normes de l’Union, mais s’est inclinée devant la pression états-unienne. Trois États, dont la Pologne, ont édicté des lois les interdisant. Or, le président Zelensky a annoncé que, ces États étant membres de l’UE, il les attaquait devant l’Organisation mondiale du Commerce (OMC).
L’agriculture est la première source de revenus de la Pologne. En pleine campagne électorale législative, la question des importations ukrainienne est au centre des débats. Le parti de droite, Confédération, en sort grandi. Le PiS serait alors contraint de faire alliance avec lui pour rester au pouvoir. Le ministre de l’Agriculture s’est adressé aux Ukrainiens. Il leur a dit qu’intenter un procès contre la Pologne à l’OMC nuirait gravement aux relations entre les deux pays. Mais rien n’y fait.
Au même moment, la population polonaise dans son ensemble commence à s’exaspérer du flot continu de réfugiés ukrainiens. Le président polonais, Andrzej Duda, a évoqué un possible arrêt de l’aide aux réfugiés ukrainiens, compte tenu de l’opposition qu’ils rencontrent désormais dans l’opinion publique. Il a comparé l’Ukraine à un pays qui se noie et qui représente un danger pour son sauveteur : il arrive qu’un noyé se débatte de manière désordonnée et entraîne avec lui son sauveteur.
Enfin, le seul État pour lequel la Pologne a une révérence, c’est le Saint-Siège. Or, l’Ukraine vient de manifester sèchement son opposition au Saint-Père auquel elle reproche de ne pas détester la culture russe. Ce faisant, elle a délié la Pologne de ses engagements à son égard.
Le gouvernement du PiS a alors décidé de raviver l’affaire de Przewodów. Le 15 novembre 2022, des missiles étaient tombés sur ce village polonais, non loin de la frontière ukrainienne, faisant deux morts et détruisant des installations agricoles. Dans un premier temps, ils avaient été attribués à la Russie, mais craignant que la Pologne ne provoque une guerre mondiale, les États-Unis avaient révélé qu’ils étaient ukrainiens. On étouffa l’affaire. La justice ukrainienne vient opportunément de révéler son rapport d’enquête. Il confirme ce qui disait Washington. Dès lors, la Pologne devrait exiger des réparations de l’Ukraine.
L’incident canadien n’est pas fini. Pour le moment, ni les Slovaques, ni les Slovènes, qui ont été victimes de la SS Galicia n’ont obtenu d’excuses. En outre, la brouille polono-ukrainienne ne sera pas sans conséquences. D’abord parce qu’aujourd’hui le territoire polonais est la principale base de transit de l’aide occidentale à l’Ukraine. Ensuite parce qu’elle aura des répercussions sur les États baltes, particulièrement sur la Lituanie.