Toute l’Europe n’est pas paralysée par les confinements anti-Covid : en effet le mastodonte exercice annuel de l’Armée US, Defender-Europe, s’est mis en marche jusqu’à fin juin. Il mobilise sur le territoire européen, et au-delà de celui-ci, des dizaines de milliers de militaires avec des milliers de blindés et d’autres véhicules. Le Defender-Europe 21 non seulement reprend le programme de celui de 2020, redimensionné à cause du Covid, mais l’amplifie.
Pourquoi le « Défenseur de l’Europe » arrive-t-il de l’autre rive de l’Atlantique ? C’est ce qu’ont expliqué les 30 ministres des Affaires étrangères de l’Otan, réunis physiquement à Bruxelles les 23 et 24 mars : « La Russie, avec son comportement agressif, mine et déstabilise ses voisins, et tente d’interférer dans la région des Balkans ». Scénario construit avec la technique du renversement de la réalité : par exemple en accusant la Russie de tenter d’interférer dans la région des Balkans où l’Otan a « interféré », en 1999, en larguant sur la Yougoslavie, avec 1 100 avions, 23 000 bombes et missiles.
Face à l’appel au secours des alliés, l’Armée US arrive pour « défendre l’Europe ». Le Defender-Europe 21, sous commandement de l’Armée US en Europe et en Afrique, mobilise 28 000 militaires des États-Unis et de 25 alliés et partenaires de l’Otan : ils conduiront des opérations dans plus de 30 aires d’entraînement dans 12 pays, dont des exercices à feu et de missiles. L’armée de l’air et de la Marine US y participeront aussi.
En mars, le transfert depuis les États-Unis en Europe de milliers de soldats et de 1 200 blindés et autres équipements lourds a commencé. Ils sont en train d’arriver dans 13 aéroports et 4 ports européens. En avril, de trois dépôts pré-positionnés de l’Armée USA —en Italie (probablement Camp Darby), en Allemagne et aux Pays-Bas— seront transférés dans diverses aires d’entraînement en Europe plus de 1 000 équipements lourds, qui seront transportés en autocars, trains et navires. En mai, se dérouleront quatre grands exercices dans 12 pays. Dans l’un d’eux, plus de 5 000 soldats de 11 pays se disperseront dans toute l’Europe pour des exercices à feu.
Alors qu’aux citoyens italiens et européens il sera encore interdit de se déplacer librement, pour des raisons de « sécurité », cette interdiction ne vaudra pas pour les milliers de soldats qui se déplaceront librement d’un pays européen à l’autre. Ils auront le « passeport Covid », fourni non pas par l’UE, mais par l’Armée US, selon laquelle ils sont soumis à « d’étroites mesures de prévention et mitigation du Covid ».
Les États-Unis ne viennent pas seulement « défendre l’Europe ». Le grand exercice —explique dans son communiqué l’Armée US en Europe et en Afrique— « démontre la capacité des États-Unis à être un partenaire stratégique pour la sécurité dans les régions des Balkans et de la mer Noire, tandis que nous soutenons nos capacités dans l’Europe du Nord, dans le Caucase, en Ukraine et en Afrique ». Pour cela le Defender-Europe 21 « utilise les voies terrestres et maritimes fondamentales qui relient l’Europe, l’Asie et l’Afrique ».
Le généreux « Défenseur » n’oublie pas l’Afrique. En juin, toujours dans le cadre du Defender-Europe 21, il ira « défendre » la Tunisie, le Maroc et le Sénégal avec une vaste opération militaire allant de l’Afrique du Nord à l’Afrique de l’Ouest, de la Méditerranée à l’Atlantique. Elle sera dirigée par l’Armée US à travers la Task Force de l’Europe méridionale dont le quartier-général est à Vicenza. Il faut combattre —explique le communiqué officiel— « l’activité maléfique en Afrique du Nord et en Europe méridionale et l’agression militaire adverse ». On ne spécifie pas qui sont les « maléfiques », mais la référence à la Russie et à la Chine est évidente.
Le « Défenseur de l’Europe » n’est pas ici de passage. Le Vème Corps de l’U.S. Army participe au Defender-Europe 21. Après avoir été réactivé à Fort Knox dans le Kentucky, il a constitué son propre quartier-général avancé à Poznan en Pologne, d’où il commandera les opérations le long du flanc oriental de l’Otan. Les nouvelles Brigades d’assistance des forces de sécurité participent à l’exercice. Ce sont des unités spéciales de l’U.S. Army qui entraînent et conduisent dans des opérations militaires les forces de pays partenaires de l’Otan (comme le sont Ukraine et Géorgie).
Même si on ne sait pas combien coûtera le Defender-Europe 21, on sait que ce sera nous, citoyens des pays participants, qui paierons, en argent public, alors que se raréfient les ressources pour faire face à la crise. La dépense militaire italienne a grimpé cette année à 27,5 milliards d’euros, c’est-à-dire à 75 millions d’euros par jour. L’Italie a cependant la satisfaction de participer au Defender-Europe 21 non seulement avec ses propres forces armées, mais en tant que pays hôte. Elle aura donc l’honneur, en juin, d’accueillir l’exercice conclusif du Commandement US, avec la participation de Vème Corps de l’U.S. Army de Fort Knox.