- Juste après l’élection contestée du président US, Joe Biden a téléphoné au pape François pour recevoir sa bénédiction. Il s’est dès lors présenté comme le « président élu » sans attendre la réunion du Collège électoral désigné par les gouverneurs.
- (photo prise en 2015, lors du premier voyage de François aux USA)
J’ai précédemment présenté les partisans de la culture « woke » (éveil) aux USA comme des « Puritains sans Dieu ». Il s’agit là d’un raccourci soulignant que beaucoup d’entre eux ne croient pas en Dieu. Je voudrais corriger ce portrait en traitant ici de l’empreinte des croyants au sein de la gauche états-unienne. C’est un sujet très peu abordé aux USA [1] et totalement ignoré en Europe où l’on gomme toujours les aspects outranciers des religions chez le suzerain US.
En premier lieu, il convient de poser le contexte :
Les États-Unis auraient été fondés par une secte puritaine, les Pères pèlerins, venus au XVIIème siècle à bord du Mayflower. Ils quittèrent l’Angleterre, traversèrent l’Atlantique, trouvèrent un continent quasiment vide où ils apportèrent leur exigence de pureté et construisirent une « Cité sur la colline » qui illumine le monde. De fait aujourd’hui, les États-Unis sont les champions de la liberté religieuse dans le monde, mais pas de la liberté de conscience : le témoignage d’un renégat contre son ancienne église ou secte n’est pas recevable devant un tribunal.
Durant la Guerre froide, le président Eisenhower positionna les États-Unis comme le champion de la Foi face au « communisme sans Dieu » des Soviétiques [2]. Il fit distribuer des ouvrages de propagande « chrétienne » à tous ses soldats et installa un groupe de prière œcuménique au Pentagone, aujourd’hui connu sous le nom de « La Famille » [3]. Il l’étendit dans tout le monde occidental. Tous les présidents du Comité des chefs d’état-major y ont appartenu et y appartiennent encore, ainsi que de nombreux chefs d’État ou de gouvernement étrangers.
Enfin, depuis la dissolution de l’Union soviétique, les États-uniens se détachent de leurs Églises et 17 % d’entre eux se disent agnostiques, voire parfois athées. Quant au nombre de croyants qui ne se disent pas affiliés à une Église particulière, il ne cesse d’augmenter. Le discours politique ne s’adresse plus seulement aux croyants de toutes les dénominations chrétiennes, ni même aux croyants de toutes les religions, mais aussi aux non-croyants.
Cette évolution s’exprima la première fois lors de la Convention du Parti démocrate, en 2012. Alors que de nombreux ateliers étaient organisés par des groupes religieux, les textes présentés et adoptés ne mentionnaient plus Dieu. Non pas que le parti ne soit plus composé à une écrasante majorité de croyants, mais parce qu’ils entendaient continuer à s’adresser à tous et que le peuple US avait changé
Lors de l’élection présidentielle de 2004, le candidat démocrate, John Kerry, est un catholique qui avait hésité à devenir prêtre. Il croit pouvoir compter sur l’électorat de sa communauté religieuse, mais n’y parvient pas. Les catholiques de gauche ne sont pas encore organisés. Son discours sur l’avortement choque le futur cardinal Burke qui demande à la conférence épiscopale de lui refuser l’eucharistie. Finalement le pape Benoit XVI évoquera, après sa défaite face à George W. Bush, son excommunication de facto.
En 2008, l’élection du démocrate Barack Obama, qui a été présentée comme une victoire des organisations noires, était en réalité une victoire plus grande encore des chrétiens de gauche, majoritairement blancs. Son directeur de cabinet, John Podesta, étant un militant catholique avait rassemblé toutes les chapelles des chrétiens de gauche, protestantes et catholiques, pour soutenir son accession à la Maison-Blanche
Identiquement le passage de la loi sur l’obligation faite aux travailleurs de contracter une assurance santé auprès d’une société privée est avant tout une victoire des chrétiens de gauche contre ceux de droite. Les premiers entendaient suivre les préceptes de leur religion dont les seconds voulaient sauver les valeurs. Notez bien que Jésus le Nazaréen a toujours refusé de se positionner sur ces terrains, mais a enseigné par son exemple. Notez bien aussi que le choix législatif de Barack Obama n’avait rien de politique. Il ne s’est jamais préoccupé de ce que voulaient ses concitoyens.
Barack Obama a une grande culture religieuse, non seulement chrétienne, mais aussi musulmane. On ne sait pas grand chose de sa foi, mais il est toujours apparu comme très respectueux de toutes les formes de religion. Ce qui lui a longtemps permis d’apparaître comme un sage et de fédérer les croyants de tous horizons derrière son nom.
Il réforma le Bureau de la Maison-Blanche pour les initiatives basées sur la Foi créé par son prédécesseur. Il s’assura que les subventions fédérales ne seraient pas utilisées en faveur de tel ou tel culte. Il y plaça le jeune Joshua DuBois pour coordonner les croyants de gauche et lui adjoignit un conseil composé de leurs principales figures :
la révérende Traci Blackmon engagée pour les soins de santé pour tous ;
la révérende Jennifer Butler, fondatrice de Faith in Public Life ;
le révérend Jim Wallis, l’éditeur de la revue Sojourners et conseiller spirituel du président ;
le pasteur Michael McBride engagé contre les armes et les violences policières faites aux Noirs ;
l’écrivaine à succès Rachel Held Evans, auteure de Une année de féminité biblique : comment une femme libérée s’est retrouvée assise sur son toit, couvrant sa tête et appelant son mari maître ;
le rabbin David Saperstein, directeur du Religious Action Center of Reform Judaism. Il fut aussi désigné ambassadeur des États-Unis pour la liberté de religion dans le monde ;
Harry Knox, leader de la Human Rights Campaign’s Religion and Faith Program puis directeur de la Religious Coalition for Reproductive Choice, leader des droits des gays et de la lutte pour le droit à l’avortement ;
Rami Nashashibi, directeur de l’Inner-City Muslim Action Network. Il milita pour distinguer les musulmans des terroristes après les attentats du 11-Septembre.
Toutes ces personnalités ont participé activement l’an dernier aux débats sur les statues à déboulonner ou aux manifestations de Black Lives Matter.
Durant sa campagne présidentielle Hillary Clinton a évoqué le moins possible sa foi personnelle. Elle s’est beaucoup adressée aux croyants, surtout aux évangéliques. Avec un discours sur les préceptes du christianisme qui imposeraient de confesser le péché originel de l’esclavage et de recevoir tous les migrants, elle n’est pas parvenue à les convaincre. Ce n’est qu’après son échec électoral qu’elle a annoncé penser devenir pasteur méthodiste.
Au contraire son rival, Donald Trump, qui ne semble pas avoir de préoccupation religieuse, est parvenu à rallier à lui la majorité des chrétiens de droite et particulièrement les évangéliques blancs. Il s’est présenté à eux non pas comme un croyant, mais comme un « gars qui allait faire le boulot » et sauver les valeurs que les chrétiens de gauche négligeaient. Les chrétiens de droite ont apprécié sa sincérité et l’ont perçu comme un mécréant envoyé par Dieu pour sauver l’Amérique.
Durant le mandat d’Obama, les croyants de gauche états-uniens ont eu l’impression —à tort ou à raison— que le pape François leur parlait en particulier. En effet ils ont interprété sa première lettre apostolique, Evangelii gaudium (2013), qui invite les fidèles à évangéliser le monde, comme une justification de leur engagement politique dans la mesure où il y aborde « l’option préférentielle pour les pauvres ». Cependant, contrairement à ce que pensent les croyants de gauche états-uniens, jamais l’Église catholique n’a enseigné de préférer certains hommes à d’autres. Surtout les croyants de gauche ont reçu l’encyclique Laudato si’ (2015), consacrée aux questions environnementales, comme un soutien à leur militantisme écologiste. Dans l’ensemble, toutes confessions confondues, ils considèrent aujourd’hui le pape François comme le leader religieux le plus légitime.
Joe Biden est le second président des États-Unis à être catholique après John Kennedy. Mais alors que Kennedy devait prouver qu’il était indépendant et n’accepterait pas d’injonction d’un pape étranger, Biden tente par tous les moyens d’être adoubé par un pape adulé par ses électeurs. Durant sa campagne électorale, il a diffusé un clip publicitaire dans lequel il explique ce qu’il doit à sa foi. Lorsqu’il a perdu sa femme et sa fille dans un accident, puis un de ses fils d’un cancer, celle-ci lui a permis de surmonter son chagrin et de garder espoir.
Au début de cet article, j’évoquais le groupe de prière du Pentagone. Depuis sa création par le général Eisenhower, il organise chaque année, début février, un déjeuner de prière avec le président en exercice des États-Unis. Chacun attendait le discours du président Biden. Il dura 4 minutes par vidéo-conférence. L’orateur y condamna « l’extrémisme politique » (allusion à son prédécesseur) et célébra la fraternité entre « Américains ».
Pour le nouveau président, les Américains sont « bons », ainsi qu’il le proclamait lors de la cérémonie d’investiture. Le Parti démocrate cherche la Justice sociale dans la tradition du « Social Gospel » des années 1920. Tous les Américains auraient spontanément dû le suivre. Malheureusement, les croyants de droite ont été aveuglés par Donald Trump ; un homme sans religion. Ils ont voté pour ce milliardaire sans se rendre compte qu’ils trahissaient leur foi. C’est pourquoi il est de son devoir de leur ouvrir les yeux et de faire leur bonheur malgré eux.
Jamais le président Biden n’a tenté de comprendre pourquoi les croyants de droite ont voté Trump. Toujours il a considéré ce fait comme une anomalie intellectuelle. Ainsi aujourd’hui, il tente d’assimiler le groupe QAnon à une secte délirante qui imagine Satan partout à Washington. Dans chacune de ses déclarations, il s’évertue à présenter la présidence Trump comme erreur, une sinistre parenthèse sans lendemain.
Pour les croyants de gauche, la seule chose qui compte, ce sont les décisions prises depuis le 20 janvier en faveur des immigrants, des femmes, des minorités sexuelles, et contre la violation des espaces sacrés des minorités indiennes.
Nous assistons à une vaste méprise. Les croyants de gauche pensent qu’ils doivent imposer au nom de Dieu leurs convictions politiques, tandis que le Parti démocrate pense qu’il ne doit pas réfléchir de manière politique, mais séduire ses électeurs. La séparation entre les Églises et l’État existe toujours d’un point de vue institutionnel, mais plus dans la pratique quotidienne. Le problème s’est déplacé : il n’est plus entre les religions, mais entre des conceptions différentes de la Foi.
Saint Bernard, qui prêcha la seconde croisade, reconnaissait que « L’enfer est pavé de bonnes intentions ». C’est exactement ce qui se passe ici : les croyants de gauche se comportent comme des fanatiques. Ils parlent d’unité nationale, mais ont ouvert une chasse aux sorcières en regard de laquelle celle de McCarthy n’était pas grand chose. Ils licencient des centaines de conseillers au Pentagone ; ont tenté de révoquer une élue à la Chambre des Représentants parce qu’elle met en question la version officielle des attentats du 11-Septembre ; ou veulent arrêter tous les membres du mouvement QAnon. Ils ne pacifient pas les États-Unis après la prise du Capitole, mais les précipitent dans la guerre civile.