[07.01.2021.] Je n’avais pas prévu de m’adresser à la nation si tôt après mon allocution du Jour de l’An.
Mais un événement troublant s’est produit, qui met en cause notre intégrité territoriale et exige que je m’adresse à vous directement, en toute transparence, et que je vous tienne pleinement informés.
Comme vous le savez, le Guyana maintient au Venezuela une ambassade accréditée auprès du Gouvernement de ce pays.
Réciproquement, nous continuons d’accueillir au Guyana une ambassade vénézuélienne accréditée auprès de notre Gouvernement.
Autrement dit, le Guyana a scrupuleusement préservé toutes les voies de communication officielles avec le Gouvernement du Venezuela.
Nous l’avons fait tout en exerçant notre droit de demander au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies de saisir la Cour internationale de Justice du différend de longue date qui nous oppose au Venezuela au sujet de la décision arbitrale de 1899.
Jamais nous ne nous sommes livrés à des déclarations relatives aux remarques incendiaires qui émanent continuellement du Gouvernement vénézuélien et d’autres acteurs de ce pays, sinon pour continuer d’affirmer la souveraineté et l’intégrité territoriale de notre nation.
Nous avons toujours choisi la voie de la résolution pacifique, dans le cadre du droit international, de la question vénézuélienne.
Il est donc particulièrement choquant que, le 7 janvier, le Président du Venezuela, M. Nicolas Maduro, ait publié un décret revendiquant la souveraineté et les droits souverains exclusifs de son pays sur les eaux et les fonds marins qui jouxtent la côte guyanienne à l’ouest du fleuve Essequibo.
Je rappelle que la souveraineté sur cette côte et sur le territoire terrestre auquel elle est rattachée a été attribuée au Guyana (alors Guyane britannique) par la sentence arbitrale de 1899, dont le Guyana est convaincu que la Cour internationale de Justice confirmera sans équivoque la validité juridique et l’effet contraignant.
Malheureusement, par ce décret selon lequel les eaux adjacentes audit territoire appartiendraient au Venezuela, au moins deux principes fondamentaux du droit international ont été violés.
La première, c’est qu’aucun État ne peut déterminer unilatéralement ses frontières internationales, qu’il s’agisse de frontières terrestres ou de frontières maritimes.
Selon le droit international, la fixation d’une frontière internationale ne peut résulter que d’un accord entre États voisins, ou de la décision contraignante d’une cour internationale ou d’un tribunal arbitral.
Par conséquent, cette tentative vénézuélienne de fixer unilatéralement les frontières terrestres et maritimes avec le Guyana est nulle et non avenue sur le plan juridique. Elle ne saurait être respectée par aucun autre État dans le monde, et ne le sera pas, y compris par le Guyana.
La seconde violation découle du fait que, selon des règles bien établies du droit international, il existe un principe fondamental d’après lequel « la terre domine la mer ».
En d’autres termes, la souveraineté et les droits souverains sur les eaux et les fonds marins émanent juridiquement de la propriété des terres à laquelle ces eaux et ces fonds marins sont adjacents.
Le Guyana étant souverain sur la côte de la rive ouest de l’Essequibo jusqu’à Punta Playa, il s’ensuit qu’il peut seul exercer sa souveraineté et jouir des droits souverains exclusifs sur les prolongements maritimes.
C’est précisément la question dont la Cour internationale de Justice est saisie et dont elle a dit, le 18 décembre 2020, qu’elle avait compétence pour en connaître : qui, du Guyana ou du Venezuela, est souverain sur ce territoire terrestre.
Le Guyana est convaincu que la Cour tranchera en sa faveur et que de surcroît, sa décision réglera nécessairement la question des droits maritimes sur les eaux et les fonds marins adjacents.
Mais selon le droit international, il revient maintenant à la Cour internationale de Justice d’en décider.
En attendant, la tentative du Venezuela de revendiquer pour lui-même les eaux et les fonds marins qui jouxtent la côte située à l’ouest de l’Essequibo est, elle aussi, nulle et non avenue sur le plan juridique, et ne sera prise en considération par aucun autre État du monde, y compris le Guyana.
Le Président Maduro a accompli un deuxième acte regrettable le 7 janvier : il a rejeté l’arrêt rendu, le 18 décembre, par la Cour internationale de Justice, qui a décidé qu’elle avait compétence pour se prononcer sur la validité de la sentence arbitrale du 3 octobre 1899 et, le cas échéant, juger que cette dernière demeurait juridiquement contraignante pour les deux États.
En droit international, la décision de la Cour, adoptée à une majorité écrasante de ses juges, est définitive et juridiquement contraignante pour le Guyana comme pour le Venezuela.
Pour être parfaitement clair, je voudrais insister sur deux points :
Premièrement, selon un principe établi de longue date en droit international, tout tribunal international, y compris la Cour internationale de Justice, dispose de la compétence de déterminer sa propre compétence, ce qu’a fait la Cour le 18 décembre 2020.
Deuxièmement, la Charte des Nations Unies oblige tous les États Membres à respecter les obligations qui leur incombent en application du droit international, y compris celles fixées par la Cour internationale de Justice.
À cet égard, le Venezuela n’a pas le « droit » de « rejeter » la décision contraignante de la Cour.
De plus, ses conseillers juridiques devraient savoir qu’un tel rejet, qui constitue une violation flagrante des obligations légales du pays, ne sera accepté ni par la Cour internationale de Justice, ni par l’Organisation des Nations Unies, ni par aucun autre organisme garantissant le respect du droit international, de ses normes et de ses pratiques.
En tant que Président du Guyana, j’exprime l’espoir que le Gouvernement vénézuélien reconsidérera sa position et décidera de participer à la suite des procédures, à l’issue desquelles la Cour statuera sur la validité et la force exécutoire de la sentence arbitrale de 1899 et de la frontière internationale ainsi établie.
Toutefois, tout en formant ce vœu sincère, je tiens également à préciser que si le Venezuela choisit de pratiquer la politique de la chaise vide, il n’en dissuadera pas pour autant la Cour internationale de Justice de se prononcer, ni ne retardera la procédure.
Le règlement de la Cour prévoit expressément que l’absence délibérée de l’une des parties ne l’empêche pas de statuer sur une affaire.
Je voudrais attirer l’attention sur une autre question concernant l’affaire portée devant la Cour.
Tout à son désir de discréditer le tribunal international le plus ancien et le plus respecté au monde, le Venezuela s’est malheureusement livré à une présentation déformée des récents actes de procédure pris par la Cour internationale de Justice.
En l’occurrence, les parties ont été conviées à une réunion avec le Président de la Cour pour faire connaître leurs vues au sujet du calendrier de dépôt des écritures en vue de l’examen au fond de l’affaire.
Il s’agit là d’une pratique habituelle de la Cour.
Les parties doivent lui faire part des délais nécessaires à l’établissement du mémoire du Guyana et du contre-mémoire du Venezuela.
Aucun autre sujet n’est abordé à cette occasion.
Il est donc inexact, et trompeur, de déclarer, comme le fait le Venezuela, que la Cour a prévu une « audience » sur le fond de l’affaire sans lui laisser suffisamment de temps pour préparer sa cause.
En vérité, le Venezuela disposera de plus d’un an pour ce faire.
Mes chers compatriotes, j’ai constaté qu’un journal guyanien a attribué au Président Maduro un tweet dans lequel ce dernier aurait « juré de reconquérir l’Essequibo ».
Les recherches effectuées par mon Gouvernement sur les déclarations publiées sur Twitter par le Président Maduro ne corroborent pas l’allégation du journal.
Par conséquent, mon Gouvernement a l’intention de ne donner suite qu’aux déclarations officielles émanant du Venezuela qui auront été dûment confirmées.
À cet égard, plus tôt dans la journée, j’ai chargé le Ministre des affaires étrangères, Hugh Todd, de convoquer au Ministère des affaires étrangères le Chargé d’affaires de l’ambassade du Venezuela à Georgetown, pour lui faire part de la profonde inquiétude du Guyana au sujet du décret publié jeudi dernier.
Nous lui avons demandé de faire savoir aux autorités vénézuéliennes de Caracas qu’en application du droit international et en affirmation de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, le Guyana rejette entièrement le décret du Président Maduro.
La Guyane continuera sur la voie d’une résolution pacifique de cette affaire, dans le respect du droit international et de la compétence de la Cour internationale de Justice.
Nous exhortons notre voisin le Venezuela à faire de même.
Dans l’intervalle, nous alertons la communauté internationale, y compris nos États frères de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et des Amériques, sur le danger que représente pour la paix et la sécurité internationales le décret vénézuélien de jeudi dernier, qui enfreint les principes fondamentaux du droit international.
Mes chers compatriotes, nous poursuivrons notre approche bipartisane et nationale en la matière, avec la certitude de notre bon droit et la conviction que la loi est de notre côté.
Soyez assurés que mon Gouvernement et moi-même à titre personnel continuerons à vous tenir informés de toute évolution de cette affaire.
Le Guyana est notre terre, la terre du peuple guyanien, uni et indivisible dans notre dévotion à notre patrie.
Je vous remercie de votre attention.
Que Dieu bénisse le Guyana, que Dieu bénisse le peuple guyanien.