Bousculer les codes : la mobilisation des jeunes pour notre terre

Un article de Floriane Geels, étudiante belge en Master en Affaires européennes et Politiques sociales à Paris

Qu’entend-on réellement par mobilisation des jeunes ? Qui se cache derrière ce terme ? Pourquoi et comment la jeunesse se lève-t-elle ? Autant de questions qui méritent que l’on s’y attarde, car le mouvement pour la planète des 15-25 ans en Europe ré-interroge les fondements de nos modèles. Loin d’être un choc de générations, il s’agit d’une réflexion sociétale qui explore divers canaux de mobilisation et s’échine à construire un monde plus vivable pour tous et toutes aujourd’hui, mais aussi pour les générations futures et la diversité de notre terre.

Avec la crise sanitaire du COVID-19, beaucoup ont senti une réelle angoisse quant à la situation et aux risques encourus avec un virus si peu connu. La perte de certain.e.s de nos proches, les conséquences néfastes du confinement et l’incertitude ont laissé leur trace. Dans nos imaginaires, dans nos modes de vie, dans nos libertés, nous avons dû nous adapter. Et pourtant, des voix s’élèvent de toutes parts, rappelant que si nous avons vécu les conséquences directes de la crise sanitaire actuelle, celles de la crise écologique sont tout aussi importantes, et nous emmènent aux devants d’événements davantage perturbateurs. « Plus jamais ça », « Le jour d’après », « Pas de retour à l’anormal » : les initiatives sont nombreuses à vouloir faire de la crise une opportunité, à rappeler que même s’ils sont plus difficiles à appréhender car moins directs, les dégâts causés par nos systèmes actuels sur la planète sont tout aussi dévastateurs. L’angoisse à laquelle certain.e.s ont dû faire face avec le coronavirus, nous sommes beaucoup à la vivre au quotidien face à l’ampleur de la destruction du vivant et de notre terre. A tel point que le terme « éco-anxiété », ou sentiment de désespoir face au dérèglement climatique, a fait son apparition. Au-delà du débat médical et pathologique concernant sa nature, il y a bel et bien ici un phénomène de société qui touche de plus en plus de personnes, et impacte tout spécialement les jeunes.
Plusieurs études démontrent que les moins de trente ans subissent une inquiétude et une angoisse importantes au quotidien par rapport aux questions environnementales. Ainsi, une étude de 2018 a montré que 93% des 18-24 ans se disent inquiet.e.s en pensant au phénomène du réchauffement climatique, dont 38% « très inquiet.e.s ». Une autre enquête indique qu’une écrasante majorité (95%) estime que les décideurs politiques n’en font pas assez pour la terre. Similairement, les résultats en temps réel du questionnaire « Il est temps » (réalisé par Youth for Climate en partenariat avec, entre autres, ARTE France), qui a déjà récolté les réponses de plus de 65.000 personnes, montrent que 83% des répondant.e.s se disent pessimistes face au dérèglement climatique.

Un choc générationnel ?

Mais s’agit-il bien d’un fossé entre générations ? L’année 2019 a été témoin de l’amplification de nombreux mouvements de jeunes protestant contre l’inaction climatique de leurs dirigeant.e.s et réclamant un monde plus respectueux de l’environnement et des générations futures.
Tout a commencé le 20 août 2018 à Stockholm devant le Parlement suédois : une jeune fille est assise à même le sol avec une pancarte « Skolstrejk för klimatet » (Grève de l’école pour le climat). Elle continuera à faire grève tous les vendredis, attirant petit à petit l’attention des médias. Le mouvement « Fridays for Future » (Les Vendredis pour l’avenir) était lancé, et Greta Thunberg, du haut de ses 15 ans, deviendra dans les mois consécutifs un véritable symbole de notre protestation, du désaveu de nos aîné.e.s et du monde qu’on nous a laissé. Son initiative se propagera bientôt aux quatre coins du monde et rassemblera des milliers d’écolier.ère.s et d’étudiant.e.s chaque semaine. En Australie, en Afrique du Sud, aux Etats-Unis, dans de nombreuses villes de près de 125 pays, les Vendredis pour l’avenir ont continué de nous réunir par centaines de milliers pendant des mois. En septembre 2019, une grève internationale unissant 5 000 événements locaux a rassemblé plus de quatre millions de jeunes, selon les organisateur.trice.s. Si Greta Thunberg et ses grèves scolaires ont pris tant d’ampleur, c’est bien parce qu’il y a là-derrière un mouvement de fond.
Certain.e.s ont pu parler d’un mouvement symptomatique de son époque, d’un « choc de générations ». Si cette rhétorique est véhiculée par une partie de la jeunesse et est présente dans certaines analyses du mouvement, elle n’en reste pas moins trompeuse et réductrice. En effet, si nous avons bien conscience d’être la première génération à subir de front les conséquences de la crise écologique, la colère des Y et Z semble plutôt tournée vers les modèles de société qu’on nous a légués plutôt que vers nos aîné.e.s. De plus, cette idée de choc générationnel occulte le fait que le combat écologique a rassemblé des militant.e.s depuis les années 70, que de nombreux parents et grand-parents étaient aussi présents aux marches et elle implique une conception faussement homogène de générations.

De quels jeunes parle-t-on ?

Qui sont vraiment ces jeunes qui se sentent tant concerné.e.s par les problématiques environnementales ? Si nous sommes beaucoup, toutes catégories confondues, à être préoccupé.e.s par le climat, nous ne sommes pas une majorité à aller « marcher » et encore moins à être militant.e.s ou activistes. Il est parfois difficile de sortir de notre bulle, souvent composée d’ami.e.s partageant nos idéaux et nos combats. Nous sommes une génération née avec les enjeux climatiques, comme elle est née avec internet, mais tous et toutes ne réagissent pas de la même manière. On ne doit jamais oublier qu’elle n’est pas pour autant homogène, et que malheureusement, l’éducation, les milieux socio-économiques ou les lieux de résidence font la différence. Certain.e.s jeunes (et moins jeunes) n’ont pas les ressources matérielles, le temps ou la possibilité de s’engager pour la cause écologique. Par exemple, une étude, menée par un collectif de chercheurs en sociologie, tend à démontrer que celles et ceux qui étaient présent.e.s aux marches pour le climat à Paris (enquêtes en octobre 2018 et mars 2019) sont issu.e.s de catégories socio-professionnelles supérieures, avec un capital économique ou, à défaut, culturel important. Ils et elles se distinguent par un niveau d’éducation et de diplomation élevé et par leur attention au quotidien à des gestes écoresponsables (manger bio, moins de viandes, trier les déchets etc.) et partagent avec leurs aîné.e.s enquêté.e.s un positionnement politique ancré à gauche ainsi qu’un rejet de la logique des petits pas, avec une vision plus collective qu’individuelle de la crise.
Pourtant, il faut se garder d’une vision caricaturale de « l’écolo bobo de gauche ». D’une part, les données évoquées ci-dessus ne concernent que le public présent aux marches, excluant donc les autres formes d’activisme, mais aussi celles et ceux qui se sentent concerné.e.s sans pour autant manifester. D’autre part, les thèmes de convergence de luttes, de justice climatique, de fin du monde et fin du mois sont de plus en plus liés. Le mouvement écologiste se veut une réflexion systémique, alliant luttes climatiques aux luttes sociales. Par exemple, en février 2020, des activistes de Youth for Climate ont réalisé une occupation des bureaux de Blackrock à Paris en partenariat avec d’autres associations écologiques et les Gilets Jaunes. Cette action visait le blocage d’un financeur d’actions polluantes mais également à faire « écho à la lutte contre la réforme des retraites ». Dans leur manifeste, le collectif d’associations étudiantes parisiennes réitère « l’urgence d’une transformation globale où questions sociale et écologique fusionnent pour devenir le projet du XXIe siècle ».
Derrière “les jeunes”, il y a aussi différents groupes. Le mouvement est décentralisé, horizontal et hétéroclite, et les canaux classiques associatifs ou politiques sont délaissés par une partie de la jeunesse. Tous se déclinent en divers groupes locaux. Dans le cas des grèves scolaires pour le climat, la mobilisation s’est faite « par le bas », ralliant les jeunes par un effet boule de neige et à travers les réseaux sociaux. Youth for future France, par exemple, se définit comme un mouvement de jeunes mobilisé.e.s pour le climat, sans être une association et sans être affilié à aucun parti ou organisation. Fridays for Future, créé à la suite de l’appel à la grève de Greta Thunberg est présent aux quatre coins du monde. Extinction Rebellion se dit être un « mouvement international de désobéissance civile en lutte contre l’effondrement écologique et le réchauffement climatique », sans hiérarchie préétablie ni de « têtes d’affiches » et qui ne concerne pas seulement les jeunes.

Pointer du doigt les incohérences : un procès trop rapide

On a souvent entendu parler de nos contradictions, de nos incohérences. On a lu des réactions ironiques et décrédibilisantes du mouvement, accusant les plus jeunes de participer aux grèves scolaires simplement pour rater les cours, pointant d’un doigt indigné nos smartphones ou bouteilles en plastique et raillant nos voyages low-cost.
Mais qui peut se targuer d’avoir ajusté en une harmonie parfaite, ses valeurs, ses actions et ses discours ? Nous sommes tous et toutes constitué.e.s d’incohérences. Qui peut nous reprocher de nous laisser prendre par les injonctions emmagasinées depuis l’enfance, de nous laisser prendre au jeu de la surconsommation ? On nous a vendu toujours plus de publicités, toujours plus d’objets, toujours mieux mais toujours moins cher… Nous n’avons après tout pas décidé de naître dans un monde où les biens et l’argent ont été érigés en valeurs. Mais enfin et surtout, les quelques inconsistances ne devraient pas décrédibiliser le mouvement dans son entièreté, car il est toujours préférable de faire de son mieux mais imparfaitement que de ne rien faire du tout.

La naissance d’un nouveau rapport au monde?

Et derrière cette volonté de faire de notre mieux, il y a une réelle contestation du modèle dominant. On sent un vent nouveau souffler, on ne se contente plus de promesses en l’air ou de greenwashing. Il y a bien sûr l’adoption de gestes au quotidien, mais il y a surtout un rassemblement autour d’une cause qui nous semble dépasser tout clivage politique et la défense non pas des intérêts d’un petit groupe, mais bien ceux de la planète et des générations futures. Et si cela s’exprime par le fait de sécher des cours pour les lycéen.ne.s ou collégien.ne.s qui estiment mieux défendre leur avenir en manifestant qu’en allant en classe ; nous, étudiant.e.s et jeunes diplômé.e.s, entendons aussi avoir une prise sur un avenir que nous souhaitons porteur de sens. Nous sommes beaucoup à vouloir appliquer nos idéaux au quotidien: apprendre à « vivre mieux avec moins », prôner la convivialité, le retour à des choses simples, le ralentissement de nos rythmes de vie et le partage. Dans certains cas, cette quête de sens s’exprime aussi dans la recherche d’un emploi qui ne soit pas en contradiction avec nos valeurs. Le combat contre une auto-culpabilisation quasi-constante est devenu le quotidien de nombre d’entre nous également. Pendant trop longtemps, le curseur a été pointé sur l’individu et ses actes (manger de la viande, prendre l’avion, etc.) plutôt que sur la dimension collective, politique et sociétale du combat pour préserver notre terre. Et si les gestes individuels sont une étape nécessaire, ils ne sont certainement pas suffisants.
C’est d’ailleurs un des éléments qui a engendré une défiance croissante à l’égard des politiques et des médias, nous poussant à consulter de nouveaux canaux d’information, sites-web (Reporterre, Mr Mondialisation) ou pages sur les réseaux sociaux (Partager C’est Sympa, Le Biais vert, L’oreille de Tatu, etc.). Le système scolaire est aussi concerné : toujours selon les résultats partiels du questionnaire « Il est temps », seulement 10% des répondant.e.s estiment que le système éducatif nous prépare efficacement aux défis écologiques. Plus qu’une méfiance de certaines grandes institutions, il pourrait s’agir d’un réel désaveu de nos systèmes, considérés comme trop individualistes, inégalitaires et non-soutenables. Le caractère capitaliste de nos sociétés est de plus en plus décrié et considéré comme incompatible avec l’écologie. Ainsi, la jeunesse se tourne vers des alternatives en rupture : certain.e.s parlent de décroissance, d’autres de démocratie plus participative, mais tous et toutes aspirent à un changement.
Un répertoire d’actions large et un panel varié de revendications
Bien sûr la mobilisation des jeunes pour la planète est polymorphe. On parlera d’ailleurs plutôt d’une mouvance, nourrie par différents groupes et revendications. Les médias ont pu la présenter comme n’ayant « pas de débouchés » ou de doléances claires, or si le mouvement est difficile à appréhender du fait, précisément, de cette absence de formalisation, il y a tout de même beaucoup à en apprendre. Non seulement des alternatives et propositions concrètes sont amenées sur la table, mais différents modes de contestation sont aussi expérimentés.
Les revendications phares des différents groupes sont, non seulement maintenir la hausse des températures globales en dessous de 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, mais aussi assurer la justice climatique, interrompre la destruction des écosystèmes ou créer une assemblée citoyenne, notamment. Les marches n’ont été que le sommet de l’iceberg et la jeunesse mobilise différents canaux. Elle est aussi force de proposition. Les « Camille de la grève de la jeunesse pour le climat », rassemblant plusieurs associations étudiantes parisiennes écologistes ont publié 9 leçons à l’adresse du gouvernement au début de l’année 2019, sur des thèmes aussi variés que l’éco-féminisme, la transition alimentaire ou la construction européenne. Les groupes s’attèlent également à encourager la sensibilisation et l’organisation d’ateliers débats dans divers établissements. Le 20 mai dernier, c’était au tour du collectif inter-établissements de Sciences Po d’élever la voix en publiant leur manifeste « Pour des Sciences Po à la hauteur des enjeux écologiques ». La tribune est co-signée par de nombreuses associations étudiantes et a reçu le soutien de personnalités telles que par Dominique Bourg, Valérie Cabanes ou Jean Jouzel. Dix mesures concrètes sont réclamées afin d’implanter de réels changements. Elles s’articulent autour de trois volets : l’un pour une gouvernance « écologique, inclusive et éthique », l’autre autour d’un enseignement qui intégrerait ces enjeux dans une approche transdisciplinaire, et enfin pour des campus écoresponsables décarbonant les activités universitaires.
D’autre part, même si elle ne fait pas toujours consensus, la désobéissance civile semble prendre une place importante dans la lutte pour l’environnement. Certain.e.s estiment qu’aucune réaction appropriée n’émanera des instances dirigeantes : « Nous entrerons en résistance, car face à l’inaction politique la seule solution est la désobéissance civile » clame un collectif d’étudiant.e.s parisien. Nous avons le sentiment que les marches ne suffisent plus, car les leaders politiques ont été incapables de répondre par des mesures efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique et pour la protection de la biodiversité. On ne s’étonne donc pas que Youth for Climate favorise désormais l’action directe, avec l’exemple récent du blocage de Blackrock. Le mouvement Extinction Rebellion (XR) a également beaucoup fait parler de lui en la matière.

Et après ?

En 2020, la mobilisation a continué. Youth for Climate a rédigé une lettre ouverte à Frans Timmermans, Vice-Président de la Commission Européenne pour un nouveau départ de la Politique Agricole Commune et a également organisé un blocage à Chambéry contre un projet de construction d’un parking de 7 étages. De son côté, XR a aussi repris ses actions après la levée du confinement tandis que Fridays for Future continue la sensibilisation et encourage les débats et les grèves. Notre mobilisation se caractérise donc par une conscience aigüe des enjeux environnementaux, par une position plus radicale, réclamant un changement structurel et par une volonté d’allier nos forces avec d’autres luttes, notamment sociales. Ce dernier point émane du fait que la contestation est bien globale, inclusive et s’attaque aux inégalités et injustices que le système crée, peu importe la sphère concernée. Les collectifs écologistes, jeunes ou moins jeunes sont plus que jamais prêts à se battre pour faire prendre un autre tournant à nos sociétés, faisant de la crise du coronavirus un tremplin vers des modes d’organisation et de vie plus soutenables. Au final, la question est moins générationnelle que sociétale : sommes-nous prêt.e.s à faire advenir, ensemble, de nouveaux modèles de société, pour les jeunes, pour les générations futures, mais aussi pour la vie sous toutes ses formes ?

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