PREMIER BUDGET POST-INDÉPENDANCE : Un pays qui se prend en charge

C’était il y a quarante-huit ans. Le 11 juin 1968, Veerasamy Ringadoo (pas encore Sir) ministre des Finances, présentait le premier budget de l’île Maurice indépendante. Un budget très attendu que le gouvernement inscrit dans la logique du « self reliance »

1968. Le pays est dirigé par un gouvernement Parti travailliste – Comité d’Action musulman (CAM) – Independant Forward Block (IFB) qui a conduit le pays à l’indépendance. Le Premier ministre est Sir Seewoosagur Ramgoolam qui, au lendemain des célébrations officielles marquant le passage du pays au statut d’État souverain, déclarait ceci : « L’île Maurice doit apprendre à travailler dur. Chacun de nous doit savoir qu’il a droit à notre richesse commune dans la mesure où il y a contribué de son mieux». Se montrant conciliant, car la question de l’indépendance avait fracturé le pays en deux, il affirme que « l’Indépendance est pour chaque homme et chaque femme, pour les humbles qui apprécient la signification de la fraternité économique ».
Le chef de l’Opposition parlementaire se nomme Gaëtan Duval du Parti mauricien social démocrate (PMSD).
Dans un article publié quelques jours avant le 12 mars, Marcel Cabon, rédacteur en chef du journal Advance, l’organe du Parti travailliste, avait souligné que l’indépendance n’est pas un sésame, « qu’il ne suffit pas de l’obtenir pour être guéri de tous les maux. Mais l’histoire enseigne qu’aucune nation ne peut respirer, ne peut s’épanouir librement si elle n’est pas souveraine. C’est sur ces fondations, et elles seules, que l’on peut vraiment construire ».

Pari sur le développement

L’île Maurice étant souveraine, il fallait assumer. En choisissant son indépendance politique, le pays prenait également le pari de tenir sur ses propres jambes pour son développement économique et social.
Il y a une immense attente, mais les ressources sont limitées. La population est angoissée par les difficultés économiques grandissantes. La production se limite essentiellement au sucre et à un peu de thé. Les emplois sont rares – près de quatre Mauriciens sur dix sont au chômage. Le revenu par tête d’habitant est de Rs 1 000 par an.
Le discours du budget de Veerasamy Ringadoo, le 11 juin 1968, se devait donc être une exhortation à la confiance, à l’unité, à la responsabilité et à la prudence.
D’entrée de jeu, le ministre concède qu’« il nous faut équilibrer le budget courant sans aide étrangère et cela veut dire qu’il faudra continuer pour quelque temps encore la période d’austérité, jusqu’à ce que nous puissions agrandir et renforcer notre économie et accorder un niveau de vie plus généreux à la population ».
La politique gouvernementale, souligne-t-il, s’inscrit dans la logique du « self-reliance ».
« On peut ne pas aimer certaines mesures économiques ou certaines révisions dans les dépenses, mais le budget doit être étudié dans son ensemble avec sang-froid et courage. Nous ne pouvons plus envoyer au lendemain des décisions ou des remèdes, si déplaisants qu’ils puissent paraître », devait encore dire Veerasamy Ringadoo, disant compter sur l’aide et la coopération de tous et de chacun.

Confiance en soi

Le thème central du premier budget de l’île Maurice indépendante, dira le ministre des Finances, est la confiance en soi : «C’est cette confiance en soi qui nous permettra de réaliser nos espoirs et nos aspirations. La confiance en soi est un mode de vie… »
Pour réaliser les espoirs et les aspirations de toute la nation, il est primordial, exhorte Veerasamy Ringadoo, « que la population soit unie et qu’elle ne parle que d’une seule voix, qu’elle fasse taire ses querelles et ses disputes ; que nous dépensions en fonction de nos moyens et que nous ne nous laissions pas aller à des dépenses hors de nos moyens ; que nous mobilisions toutes nos ressources humaines et économiques, et que nous les plaçions à la disposition de la communauté ; que nous ne prenions pas avantage de profits personnels au détriment de la communauté ; que nous modifions nos habitudes afin que nous puissions utiliser au maximum les ressources dont nous disposons et évitions de réclamer des choses coûteuses et qui doivent être importées ».
Pour la construction de l’économie, les priorités du gouvernement sont : agriculture; pêche; thé; élevage; tourisme; et industrie. Si la culture rizicole sera pratiquée sur une grande échelle, afin de réduire sensiblement nos importations, le développement de l’industrie du thé sera encouragé au maximum. La mise sur pied d’une école de pêche avec la collaboration d’une firme japonaise et d’industriels mauriciens est aussi envisagée. En ce qui concerne l’industrie touristique, une dotation
de Rs 600 000 est prévue pour faire la promotion du pays à l’étranger. Pour mieux soutenir les investisseurs et les industriels, le ministre des Finances prévoit Rs 10 millions à travers la Banque de Développement. Toujours pour encourager la production locale, des terres de la Couronne (Crown Lands) et des Pas géométriques seront utilisés pour favoriser l’élevage
du bétail pour la production du lait et de la viande.

Sacrifices attendus

Au niveau des infrastructures publiques, le ministre mentionne le bâtiment de l’Université de Maurice, le Quai Ouest de la rade de PortLouis, l’extension de la piste d’atterrissage de Plaisance, le tunnel de Pierrefonds pour alimenter le réservoir de la Ferme et la construction de l’hôpital national Sir Seewoosagur Ramgoolam, dans le Nord, qui sera achevée.
Le premier budget post indépendance coûtera Rs 73 millions, ainsi réparties : 37,7% pour l’industrie et l’agriculture et 42,5% pour l’infrastructure. Rs 5,8 millions seront versés à un fonds de réserve pour le développement.

En conclusion à son discours, le premier ministre des Finances de l’île Maurice indépendante fera preuve d’un étonnant pragmatisme politique. Il sait que son budget sera tout sauf populaire. Il est conscient que des jours difficiles attendent le pays et sa population. Il posera lui-même la question que de nombreux observateurs, critiques et partisans même du Parti travailliste commençaient à poser : «Have we abandonned our efforts to establish the socialist pattern of life ? » Il y répondra en ces termes : « We have suffered a temporary setback in our struggle but we remain dedicated and must solemnly rededicate ourselves to the securing of social justice, especially for the needy, the distressed and the poor. And so I trust that their sense of responsibility and duty will continue to guide all my fellow countrymen in the difficult days ahead, for it is certain that with determination and discipline we shall achieve prosperity. Together we will overcome whatever difficulties and hardships there are to be encountered on the way ».

Le lendemain du discours de Veerasamy Ringadoo, le journal du Parti travailliste reconnaît que c’est « un budget d’austérité qui demande certains sacrifices à la population ». Mais poursuit son analyse en écrivant que c’est « un budget de confiance en l’avenir, budget d’encouragement pour les capitalistes, tant mauriciens qu’étrangers, qui voudraient lancer de nouvelles industries à Maurice, budget d’invite au secteur privé pour qu’il collabore pleinement avec le gouvernement dans le dessein de faire prospérer le pays et de donner de l’emploi au nombre maximum de personnes ».

Le Mauricien, journal qui, aux élections de 1967, s’était aligné sur la thèse de l’association avec la Grande-Bretagne du PMSD, mais qui entre-temps a tourné la page, titrait quant à lui : « Le message d’espoir ».

Austérité

Voici, ci-dessous, une liste de quelques mesures budgétaires annoncées par le ministre des Finances, Veerasamy Ringadoo, le 12 juin 1968, dans le discours du premier budget de l’île Maurice indépendante :
■ Réduction des dépenses dans tous les domaines ;
■ Remaniement de l’Income Tax pour l’exercice 1968-1969 ;
■ Augmentation des droits d’importation sur les tissus, les ustensiles de cuisine, le beurre, les vêtements. Pas d’augmentation sur l’huile comestible, le rhum et les cigarettes locales ;
■ Augmentation des permis de radio et de télévision à partir du 1er juillet – Rs 20 pour un appareil de radio de plus de Rs 100 ; Rs 10 pour un appareil de moindre valeur ; Rs 50 pour un appareil de télévision ; Permis «omnibus » (Rs 75) pour un appareil de T.V et 3 postes de radio ;
■ Augmentation des patentes commerciales à partir du 1er juillet ;
■ Taxe sur les campements ;
■ Soins médicaux gratuits seulement pour les pauvres, les sans-emploi, les travailleurs de relève et les personnes dont les salaires ne dépassent pas Rs 400 par mois ;
■ Les missions à l’étranger réduites au strict minimum. Les ministres voyageront en classe touriste ;
■ « Means test » pour les allocations aux boursiers ;
■ Réduction de la subvention aux écoles secondaires ;
■ Réduction de l’allocation familiale

Une loterie nationale, déjà !!!

L’histoire, dit-on, est un perpétuel recommencement. Ce qui suit, puisé des comptes-rendus de presse (Le Mauricien et Advance) du discours du budget 1968 – 1969, prononcé par le ministre des Finances d’alors, Veerasamy Ringadoo, le 12 juin 1968, en est une parfaite illustration :

■ Tous les commerçants ou autres membres du public trouvés coupables de fraude à la douane seront impitoyablement punis : « Ce sera ma préoccupation constante, de m’assurer qu’aucune perte de revenus ne soit subie. Les coupables ne doivent pas s’attendre à être traités avec indulgence pour leurs actes peu patriotiques et des pénalités plus sévères seront prévues si nécessaires ».

■ Le nombre de congés publics doit être réduit ;

■ Riz : Le prix de vente au détail est de 46 sous la livre. Le gouvernement paie un subside de 5 sous par livre. Un très lourd fardeau, selon le ministre ; Le prix sur le marché mondial pourrait augmenter et le ministre suggère : a) Que le riz soit remplacé comme aliment de base par la farine et la pomme de terre ; b) Le riz pourrait être cultivé à Maurice : « Nous dépendrons, en conséquence, de moins en moins sur le marché extérieur pour notre approvisionnement » ;

■ Une subvention supplémentaire de Rs 1 000 000 sera accordée à la M.B.C : « Mais la corporation devra réduire ses dépenses et réorganiser son personnel ».

■ « La communauté aime les jeux de hasard. Le gouvernement compte en tirer profit. Il étudie la possibilité d’instituer une loterie nationale qui remplacerait la Loterie du Gouvernement actuelle, et d’exercer un plus grand contrôle sur les bénéfices », écrit Le Mauricien.

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