, monte à bord du paquebot SS Alsina à Marseille, pour un voyage épique de 70 jours afin de rapprocher l’OIT, fondée six ans auparavant, de l’Amérique du Sud.
En bateau et en train, Albert Thomas visite le Brésil, l’Uruguay, l’Argentine et le Chili pour impliquer plus étroitement ces pays dans les activités de l’Organisation, et les inciter à ratifier certaines des 25 conventions adoptées par l’OIT. Ces quatre pays sont des membres fondateurs de l’OIT mais ne prennent pas souvent part aux réunions dans la lointaine Genève.
Albert Thomas rencontre les représentants tripartites et s’intéresse beaucoup au fonctionnement des marchés du travail, aux syndicats et aux organisations d’employeurs. Il consigne ses observations avec beaucoup de détails dans un journal, ses entretiens, ses réunions, ses visites et fait même des observations sur les paysages et sur les vins.
«Du haut de l’hôtel Gloria, je peux voir la splendide baie de Rio de Janeiro», écrit-il le 15 juillet 1925, après sa première nuit dans la région. Il poursuit en train vers Sao Paulo, qu’il appelle Saint Paul. Dans son journal, il décrit les zones industrielles et un hôtel pour immigrants.
Un autre long voyage en train mène Albert Thomas à Montevideo, où il fait l’éloge des institutions du travail en Uruguay, mentionnant qu’«il y a 43 inspecteurs, dont 23 dans la capitale».
Il se rend ensuite à Buenos Aires, ville proche où il arrive à l’aube du jeudi 30 juillet. Dans son journal, il décrit l’Argentine comme «un pays industriel comme en Europe», où «les difficultés sont similaires à celles qu’on peut rencontrer à Stockholm, à Berlin ou dans les Balkans».
Partant vers l’Ouest, il visite ensuite Rosario, Córdoba et Mendoza pour atteindre le Chili. Pendant la lente traversée des Andes, il a le temps de lire pour se renseigner sur le Chili.
À Santiago, Thomas rencontre le président Arturo Alessandri. Il visite ensuite une mine de cuivre et les villes de Concepción et de Valparaíso.
Il rappelle dans son journal qu’il avait enjoint les quatre gouvernements à accélérer le processus de ratification des conventions de l’OIT. Et c’est vers la fin de son voyage qu’il reçoit une bonne nouvelle: le gouvernement chilien l’informe qu’il va ratifier huit conventions, les premières ratifications en Amérique latine.
Mais Albert Thomas sait que certains ne se réjouissent pas de sa visite, et il se souvient d’avoir été accusé de trahir la classe ouvrière. «On nous a insulté et dénigré sans nous donner la possibilité de répondre», se lamente-t-il dans son journal.
Le 12 août, il commence son long voyage de retour, qui le ramène en Argentine où il embarque de nouveau sur le paquebot SS Lutetia.
En 1925, la Revue internationale du Travail décrit ce voyage, qualifié de «très court». Elle observe que dans les pays visités par Albert Thomas, «il existe encore des lacunes dans les législations nationales», tout en exprimant l’espoir que «la justice sociale et le bien-être des travailleurs finiront par trouver leur place dans le développement économique de ces pays».
Albert Thomas, après une grande carrière en France en tant que journaliste, homme politique, ministre du cabinet et ambassadeur, est nommé directeur de l’OIT en 1919. En 1932, après avoir assuré une présence forte de l’OIT dans le monde pendant 13 ans, il décède soudainement à l’âge de 54 ans.