
Les 27 et 28 mai, à Kuala Lumpur (capitale de la Malaisie, pays islamique hautement technologique), s’est tenu un sommet tripartite crucial entre la Chine, l’ASEAN-10 (asean.org/) – le bloc d’Asie du Sud-Est qui affiche la plus forte croissance régionale mondiale – et, de manière spectaculaire, les six pétromonarchies arabes du golfe Persique du Conseil de coopération du Golfe (CCG) – Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie saoudite et Émirats arabes unis –, ces mêmes pétromonarchies avec lesquelles Trump vient de se réunir à Riyad à la recherche de la toison d’or du XXIe siècle. Or ce somment a été complètement ignoré en Occident (Whatever that means) le bloc idéologique qui inclut aussi l’Amérique latine, à quelques exceptions près.
De manière notable, le Global Times, porte-parole officieux du Parti communiste chinois, a commenté que le sommet tripartite représente un jalon de la plus haute importance qui marque la transition du concept à la réalité, en matière de coopération entre les parties, un moment émergent pour ce qui est de la solidarité du Sud global et de l’élargissement de l’horizon pour la « coopération transrégionale et l’intégration intercivilisationnelle [1] ».
À mon avis, ce sommet pulvérise le théorème guerrier du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, le bureaucrate du département d’État.
Le Global Times souligne les atouts des trois membres :
– la CCG avec ses vastes réserves d’énergie (à noter le retour triomphal des hydrocarbures) et ses fonds souverains de plusieurs milliards de dollars (la grande mode),
– la force manufacturière de l’ASEAN et son marché émergent de près de 700 millions (sic) de consommateurs,
– et l’étonnante capacité industrielle de la Chine, outre sa capacité d’innovation technologique et son savoir-faire en matière de construction d’infrastructures.
Le Premier ministre malaisien, le sunnite Anwar Ibrahim — digne successeur de l’incommensurable Mahathir Mohamad, aujourd’hui âgé de 99 ans, qui a su freiner la déstabilisation spéculative du mondialiste George Soros — a diagnostiqué que le grand triangle Chine/ASEAN/CCG représente collectivement un PIB de 24 870 milliards de dollars (trillions en anglais) avec une population de 2,15 milliards d’habitants, alors que l’ASEAN et le CCG « admirent déjà la Chine en tant que superpuissance mondiale [2] ».
Il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance des États-Unis pour le bloc de l’ASEAN, alors que Washington reste la principale source d’investissements directs étrangers (IDE) avec 480 milliards de dollars en 2023 : près du double des investissements combinés des États-Unis en Chine, au Japon, en Corée du Sud et à Taïwan !
Il est très frappant de constater que le site Russia Today, après l’escalade dramatique entre l’Ukraine et la Russie (le piège tendu par l’OTAN et l’Ukraine pour provoquer une réponse nucléaire tactique de la Russie [3]), a largement donné la vedette au sommet tripartite historique qui « montre le potentiel futur de l’Asie [4] ».
Le sommet tripartite de Kuala Lumpur s’est déroulé pratiquement en même temps que l’important forum asiatique sur la sécurité, dit « Dialogue de Shangri-La », parrainé par le think tank britannique IISS [5], forum qui s’est tenu à Singapour (à la frontière avec la Malaisie), où s’est rendu Macron, le président giflé, qui a appelé à la création hallucinante d’une OTAN asiatique alors que l’OTAN, entité justement nommée nord-atlantique, parvient de justesse à maintenir sa fragile cohésion ; c’est le forum où s’est également rendu Pete Hegseth, le secrétaire du Pentagone, qui a critiqué les velléités de la Chine pour s’emparer de Taïwan, parce qu’elle considère l’île simplement comme une province rebelle.
L’analyste russe Ladislav Zemánek, expert du Club de discussion de Valdai, estime que le sommet du grand triangle a le potentiel nécessaire pour reconfigurer le paysage géopolitique de l’Asie.
Ladislav Zemánek ne cache pas que la Chine est le principal partenaire à la fois de l’ASEAN et du CCG, tandis que l’ASEAN a dépassé l’Union européenne en tant que principal partenaire de la Chine, et que Pékin importe plus d’un tiers de son pétrole brut du CCG.
Le Premier ministre malaisien, Anwar Ibrahim, a souligné l’envergure visionnaire d’un dialogue interculturel entre les civilisations islamique et confucéenne.
Le dialogue civilisationnel du grand triangle vient donc d’enterrer Samuel Huntington et Francis Fukuyama ensemble : ni choc des civilisations, ni fin de l’histoire.