Le conflit ukrainien en regard de la responsabilité des gouvernants, par Thierry Meyssan


Avant de venir à Kiev, le président Joe Biden a demandé à la Russie l’assurance qu’elle ne bombarderait pas son train spécial.

Le premier anniversaire de l’affrontement militaire Est-Ouest en Ukraine a été l’occasion pour les Occidentaux de convaincre leur population qu’ils étaient « du bon côté de l’Histoire » et que leur victoire était « inévitable ».

Rien de cela n’est surprenant. Il est normal que les gouvernements communiquent sur leurs activités. Sauf qu’ici les informations sont des mensonges par omission et les commentaires sont de la propagande. On assiste à un tel renversement de la réalité que l’on peut se demander si, en définitive, les vaincus de la Seconde Guerre mondiale ne sont pas parvenus aujourd’hui au pouvoir à Kiev.

« La guerre illégale, injustifiable et non-provoquée de la Russie »

Toutes les intervention occidentales assènent que nous condamnons la « guerre illégale, injustifiable et non-provoquée de la Russie » [1]. C’est factuellement faux.

Laissons de côté la qualification d’« injustifiable ». Elle renvoie à un positionnement moral indécent. Aucune guerre n’est juste. Toute guerre est le constat, non pas d’une faute, mais d’un échec. Examinons le qualificatif de « non-provoquée ».

Selon la diplomatie russe, le problème a commencé avec l’opération états-uno-canadienne de 2014 et le renversement du président ukrainien démocratiquement élu, Viktor Ianoukovytch, en violation de la souveraineté ukrainienne et donc de la Charte des Nations unies. Il n’est pas possible de nier que Washington a joué un rôle déterminant dans cette prétendue « révolution de la dignité » : la secrétaire d’État adjointe pour l’Europe et l’Eurasie de l’époque, Victoria Nuland, s’est affichée à la tête des putschistes.

Selon la diplomatie chinoise, qui vient de publier deux documents à ce sujet, il ne faut pas s’arrêter à cette opération, mais remonter à la « révolution orange » de 2004, également organisée par les États-Unis, pour constater la première violation de la souveraineté ukrainienne et de la Charte des Nations unies. À l’évidence, si la Russie ne la mentionne pas, c’est qu’elle y a aussi joué un rôle, ce qu’elle n’a pas fait en 2014.

Le public occidental est tellement choqué de l’aisance avec laquelle les États-Unis manipulent des foules et renversent des gouvernements qu’il n’a plus conscience de la gravité de ces faits. Depuis le renversement de Mohammad Mossadegh, en Iran en 1953, à celui de Serge Sarkissian, en Arménie en 2018, il s’est habitué aux changements forcés de régime. Que les dirigeants déchus aient été bons ou mauvais ne doit pas entrer en ligne de compte. Ce qui est insupportable et inadmissible, c’est qu’un État étranger ait organisé leur renversement en maquillant son action derrière quelques opposants nationaux. Ce sont des actes de guerre, sans intervention militaire.

Les faits sont têtus. La guerre en Ukraine a été provoquée par les violations de la souveraineté ukrainienne de 2004 et de 2014. Ces violations ont été suivies d’une guerre civile de huit ans.

La guerre n’est pas non plus illégale en Droit international. La Charte des Nations unies n’interdit pas le recours à la guerre. Le Conseil de Sécurité a même la possibilité d’en déclarer (articles 39 à 51). Cette fois la particularité est qu’elle oppose des membres permanents du Conseil.

La Russie a cosigné les Accords de Minsk pour mettre fin à la guerre civile. Cependant n’étant pas née de la dernière pluie, elle a compris dès le départ que les Occidentaux ne voulaient pas la paix, mais la guerre. Aussi a-t-elle fait avaliser les Accords de Minsk par la résolution 2202 du Conseil de Sécurité, cinq jours après leur conclusion, puis a contraint l’oligarque russe Konstantin Malofeïev a retirer ses hommes du Donbass ukrainien. Elle a fait joindre en annexe à la résolution, une déclaration des présidents de la France, de l’Ukraine et de la Russie, ainsi que de la chancelière allemande se portant garants de l’application de ces textes. Ces quatre signataires engageaient leur pays.

• Le président ukrainien Petro Porochenko a déclaré dans les jours suivants qu’il n’était pas question de céder quoi que ce soit, mais au contraire de punir les habitants du Donbass.

• L’ancienne chancelière Angela Merkel a déclaré à Die Zeit [2] qu’elle voulait uniquement gagner du temps afin que l’Otan puisse armer les autorités de Kiev. Elle a précisé son propos à son insu dans une discussion avec un provocateur qu’elle croyait être l’ancien président Porochenko.

• L’ancien président François Hollande a confirmé à Kyiv Independent les propos de Madame Merkel [3].

• Restait la Russie qui a mis en œuvre une opération militaire spéciale, le 24 février 2022, en vertu de sa « responsabilité de protéger ». Dire que son intervention est illégale, c’est dire par exemple que celle de la France durant le génocide au Rwanda était aussi illégale et que l’on aurait dû laisser le massacre continuer.

Les e-mails du conseiller spécial du président russe Vladimir Poutine, Vladislav Sourkov, qui viennent d’être révélés par la partie ukrainienne, ne font que confirmer ce processus. Durant les années qui ont suivi, la Russie a aidé les Républiques ukrainiennes du Donbass à se préparer intellectuellement à l’indépendance. Cette ingérence était illégale. Elle répondait à l’ingérence, également illégale, des États-Unis qui armaient non pas l’Ukraine, mais les « nationalistes intégraux » ukrainiens. La guerre avait déjà commencé, mais conduite par des Ukrainiens exclusivement. Elle fit 20 000 morts en 8 ans. Les Occidentaux et la Russie n’intervenaient qu’indirectement.

Il faut bien comprendre qu’en feignant de négocier la paix, Angela Merkel et François Hollande ont commis le pire des crimes. En effet, selon le Tribunal de Nuremberg, les « crimes contre la paix » sont plus grave encore que ceux « contre l’Humanité ». Ils ne sont pas la cause de tel ou tel massacre, mais de la guerre elle-même. C’est pourquoi le président de la Douma, Viatcheslav Volodine, a demandé la convocation d’un nouveau tribunal de Nuremberg afin de juger Angela Merkel et François Hollande [4]. Cet appel, qui nous montre le gouffre qui sépare les deux perceptions du conflit, n’a pas été relayé par la presse occidentale.

L’ordonnance de la Cour internationale de Justice du 16 mars 2022 a posé, à titre conservatoire, que « La Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine » (réf : A/77/4, paragraphes 189 à 197). Moscou n’a pas obéi, considérant que la Cour avait été questionnée sur l’exigence d’un génocide perpétré par Kiev contre sa propre population et non pas sur l’opération militaire visant à protéger la population ukrainienne.

De son côté, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté plusieurs résolutions, dont la dernière est la A/ES-11/L.7, du 23 février 2023. Le texte « Exige de nouveau que la Fédération de Russie retire immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du pays, et appelle à une cessation des hostilités »

Aucun de ces deux textes ne déclare l’intervention russe « illégale ». Ils ordonnent ou exigent que l’armée russe se retire. 141 États sur 193 considèrent que la Russie doit cesser son intervention. Certains d’entre eux pensent qu’elle est illégale, mais la plupart qu’elle « n’est plus nécessaire » et fait souffrir inutilement. Ce n’est pas du tout pareil.

Les États ont un point de vue différent de celui des juristes. Le Droit international ne peut que sanctionner ce qui existe. Les États doivent protéger leurs ressortissants des conflits en préparation, avant qu’il ne soit trop tard pour y répondre. C’est pourquoi le Kremlin n’a pas obtempéré à l’Assemblée générale des Nations unies. Il ne s’est pas retiré du champ de bataille. En effet, il a observé durant huit ans l’Otan armer l’Ukraine et préparer cette guerre. Il sait donc que le Pentagone prépare une seconde manche en Transnistrie [5] et doit protéger sa population de cette seconde opération. De même qu’il a choisi la date de son intervention en Ukraine à partir d’informations indiquant une attaque imminente de Kiev au Donbass, qui n’ont été confirmées qu’ultérieurement [6], de même il décide aujourd’hui de libérer toute la Novorossia, Odessa incluse. C’est juridiquement inacceptable tant que la preuve des manigances occidentales ne sera pas apportée, mais c’est déjà nécessaire d’un point de vue de sa responsabilité.

Manifestement, ces deux manières de penser n’ont pas échappé aux observateurs. Le fait de juger que l’intervention russe n’est plus nécessaire doit être distingué de celui de soutenir l’Occident. C’est pourquoi, ils ne sont que 39 États sur 191 à participer aux sanctions occidentales et à envoyer des armes en Ukraine.

L’Ukraine est une « démocratie »

Le second message des dirigeants occidentaux, c’est que l’Ukraine serait une « démocratie ». Outre que ce mot n’a plus aucun sens à un moment où les classes moyennes disparaissent et où les écarts de revenus sont devenus plus importants qu’à aucun autre moment de l’Histoire humaine, s’éloignant de l’idéal égalitaire, l’Ukraine est tout sauf une « démocratie ».

Sa constitution est la seule raciste au monde. Elle pose, en son article 16 que « Préserver le patrimoine génétique du peuple ukrainien relève de la responsabilité de l’État » ; un passage rédigé par Slava Stetsko, la veuve du Premier ministre nazi ukrainien.

C’est là le sujet qui fâche. Au moins depuis 1994, les « nationalistes intégraux » (à ne pas confondre avec les « nationalistes » tout court), c’est-à-dire les personnes se réclamant de l’idéologie de Dmytro Dontsov et de l’action de Stepan Bandera, exercent de hautes fonctions dans l’État ukrainien [7]. De fait, cette idéologie s’est radicalisée avec le temps. Elle n’avait pas le même sens durant la Première Guerre mondiale et durant la Seconde. Il n’en reste pas moins que Dmytro Dontsov fut, à partir de 1942, un des concepteurs de « la solution finale des questions juives et tsiganes ». Il fut administrateur de l’organe du III° Reich chargé d’assassiner des millions de personnes en raison de leur origine ethnique, l’Institut Reinhard Heydrich de Prague. Stepan Bandera, quant à lui, fut le chef militaire des nazis ukrainiens. Il commanda de nombreux pogroms et massacres de masse. Contrairement à ce que prétendent ses successeurs actuels, il ne fut jamais interné dans un camp de « concentration », mais assigné à résidence dans la banlieue de Berlin, au siège de l’administration concentrationnaire. Il termina d’ailleurs la guerre en dirigeant les troupes ukrainiennes sous les ordres directs du führer Adolf Hitler.

Un an après le début de l’intervention militaire russe, des symboles nationalistes intégraux ou nazis sont visibles partout en Ukraine. Le journaliste de Forward, Lev Golinkin, qui a débuté un inventaire de tous les monuments en mémoire des criminels nazis, partout dans le monde, a dressé une liste stupéfiante des monuments de ce type en Ukraine [8]. Selon lui, ils sont presque tous postérieurs au coup d’État de 2014. Il faut donc admettre que les autorités issues de ce coup d’État se réclament bien du « nationalisme intégral », pas du « nationalisme » tout court. Et pour ceux qui doutent que le président juif Zelensky célèbre les nazis, il y a deux semaines, il a décerné le « titre d’honneur Edelweiss » à la 10° brigade d’assaut de montagne séparée en référence à la 1° division de montagne nazie qui « libéra » (sic) Kiev, Stalino, les passages du Dniepr et Kharkov [9].

Rares sont les personnalités occidentales qui ont acquiescé aux propos à ce sujet du président Vladimir Poutine et à ceux de son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov [10]. Cependant le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, et son ministre de la Défense, le général Benny Gantz, ont plusieurs fois déclaré que l’Ukraine devait se soumettre aux injonctions de Moscou au moins sur ce point : Kiev doit détruire tous les symboles nazis qu’il exhibe. C’est parce que Kiev s’y refuse qu’Israël ne lui livre pas d’armes : aucune arme israélienne sera remise aux successeurs des massacreurs de juifs. Cette position peut évidemment évoluer avec le gouvernement de coalition de Benjamin Netanyahu ; lui-même héritier des « sionistes révisionnistes » de Vladimir Jabotinsky qui firent alliance avec les « nationalistes intégraux » contre les Soviétiques.

La politique actuelle du gouvernement de Volodymyr Zelensky est incompréhensible. D’un côté, les institutions démocratiques fonctionnent, de l’autre non seulement partout on célèbre les nationalistes intégraux, mais on a interdit les partis politiques d’opposition et l’Église orthodoxe relevant du Patriarcat de Moscou ; on a détruit des millions de livres parce qu’ils avaient été écrits ou imprimés en Russie ; on a déclaré 6 millions d’Ukrainiens « collaborateurs de l’envahisseur russe » et l’on y assassine les personnalités qui les soutiennent.

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